L’enseignement-apprentissage de la phonétique française : étude sur l’évaluation de la prononciation par des natifs et des non natifs

Maarit Mutta
Ranskan kieli, Kieli- ja käännöstieteiden laitos, Turun yliopisto

Heli Heinonen-Aho
Ranskan kieli, Oulun yliopisto

Résumé

Notre article souligne la pertinence de l’enseignement-apprentissage de la phonétique surtout au niveau universitaire. Nous avons effectué une expérimentation pour analyser l’influence de différents évaluateurs sur la façon de noter les productions de prononciation de quatre étudiants finnophones au niveau universitaire. Les résultats indiquent une tendance selon laquelle les évaluateurs non natifs sont en moyenne légèrement plus sévères que les natifs. Les non natifs commentent ainsi davantage les déviations dans le système vocalique. Quant à la prosodie et au rythme, il semble que les non natifs soient moins sévères que les natifs. Par ailleurs, certaines variations phonétiques donnent un accent étranger (par exemple le r roulé) mais n’attirent pas de commentaires de la part des évaluateurs natifs alors que c'est le cas chez les évaluateurs non natifs de langue finnoise.

Evaluation of French pronunciation by native and non-native evaluators

This article deals with the importance of the learning and teaching of phonetics especially at the university level. The corpus consisted of six native and six non-native evaluators’ evaluations and comments on pronunciation of four French language learners. The results indicated that the non-native evaluators were on average slightly stricter than the natives. The non-native commented more on deviations in the vowel system. As for the prosodic aspects, the non-natives seemed to be less severe than the natives. However, native evaluators did not comment on some phonetic variations producing a foreign accent (for instance le r roulé) which was commented by non-native evaluators.

Yliopisto-opiskelijoiden ranskan ääntämisen arvioiminen : kaksi näkökulmaa

Tutkimuskohteena olivat neljän opiskelijan tuotokset kurssikokeessa. Arvioitavat tuotokset valittiin sillä perusteella, että näiden opiskelijoiden kyky tuottaa yksittäisiä äänteitä ja lukea tekstiä luonnollisesti eli prosodisesti oikein (rytmijaksot ja intonaatio) poikkesivat suuresti toisistaan. Lisäksi opiskelijoilta kerättiin metalingvistista tietoa heidän ääntämisestään kurssin aikana. Kuusi ranskalaista sekä kuusi suomalaista henkilöä osallistui arviointiin. Ranskalaisista kolme oli opettamiseen erikoistuneita, kolme eivät. Suomalaisista arvioijista kaksi oli opintojensa alussa olevia opettajaksi erikoistuvia ranskan opiskelijoita, neljä opintonsa päättäneitä valmista opettajaa ja tutkijaa.

Tulokset osoittavat, että arviointiryhmien välillä ei ollut suurta eroa, mutta ei-natiivit arvioitsijat olivat keskimäärin jonkin verran ankarampia kuin natiivit ja kommentoivat enemmän vokaaleihin liittyvää epätarkkuutta. Toisaalta, rytmijaksojen ja intonaation osalta he antoivat parempia arvosanoja kuin natiivit. Lisäksi suomalaiset arvioijat kommentoivat yhden oppilaan suomalaisittain ääntämää r-äännettä, jota ranskalaiset eivät kommentoineet ollenkaan, koska tämä ei aiheuta ymmärtämisvaikeuksia.

1. Introduction

Dans la linguistique appliquée, notamment dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, l’importance de la connaissance de la norme linguistique, i.e. le français standard, se manifeste clairement. Il en va de même en ce qui concerne la phonétique qui repose sur deux grands domaines : la prosodie et l’orthoépie. Le premier est lié au rythme et à l’intonation de la langue et le second à la prononciation correcte des phonèmes (cf. Heinonen-Aho à paraître ; Malmberg 1988). Dans l’enseignement-apprentissage, il semble évident qu'une prononciation compréhensible est une composante nécessaire de la compétence communicative de l’apprenant – l’interlocuteur devant comprendre le message de la manière voulue. Une bonne prononciation représente donc un socle sur lequel une bonne compétence orale se construit. Si aujourd’hui un nouvel intérêt émerge parmi les didacticiens (Ledru-Menot 2008), l’enseignement de la phonétique et de la prononciation en FLE est pourtant resté à l’arrière-plan pendant des années. Enfin, il nous semble évident que l’enseignement-apprentissage de la prononciation correcte continue aussi au niveau d'études plus avancées, plus précisément au niveau universitaire.

Le but du présent article est de discuter l’importance de l’enseignement-apprentissage de la phonétique et de la prononciation et d’étudier le rôle de différents évaluateurs natifs et non natifs en ce qui concerne la prononciation des apprenants de langue. Le corpus sur lequel notre étude repose consiste en productions de quatre apprenants de langue française au niveau universitaire recueillies lors d’un test de prononciation. Nous avons ensuite exposé ces productions à trois groupes d’évaluateurs différents  : a) Français natifs, b) non natifs (apprenants), et c) non natifs (enseignants de langue). Dans l’analyse, nous étudierons l’impact que peuvent avoir différents évaluateurs sur l’évaluation des productions orales des apprenants. Nous nous posons la question de savoir quelle est la différence entre l’évaluation par les natifs et celle par les non natifs. Les natifs non habitués à l’enseignement de la prononciation sont-ils plus nuancés quant à l’évaluation de la prononciation ? Les non natifs sont-ils plus stricts dans leur évaluation comme cela a été démontré dans d’autres travaux antérieurs (cf. Lintunen 2004) ?

Notre article se compose de deux parties complémentaires : la première partie entame une discussion théorique sur l'importance de l'enseignement-apprentissage voire de la didactique de la phonétique et de la prononciation (d'abord au niveau général et ensuite lié au français) et son évaluation (sections 2-3). Cette partie forme la base théorique pour justifier notre petite expérimentation sur l'évaluation de la prononciation par les natifs et non natifs. La deuxième partie présente l'enseignement-apprentissage de la phonétique et de la prononciation dans un contexte non naturel au niveau universitaire ainsi que le corpus recueilli plus en détail (section 4). L’évaluation des productions des apprenants par des groupes d’évaluateurs différents ainsi que les commentaires des apprenants et ceux des évaluateurs seront présentés dans la section 5.

2. L’enseignement-apprentissage de la phonétique et de la prononciation

2.1. Phonétique et prononciation – mots tabous en didactique ?

Les domaines classiques de la linguistique comprennent la phonologie, la morphologie, la syntaxe et la sémantique. Ainsi, la phonologie étudie la fonction des sons des langues de même que les combinaisons de phonèmes qui interviennent pour créer les différentes unités de la langue, entre autres les mots et les syntagmes (Moeschler et Auchlin 2000 : 6-7). La phonologie est donc une branche de la linguistique qui, selon Kalmbach (2011, Ch. I.2.1.), « à partir des descriptions que fournit la phonétique, retient les caractéristiques « utiles » des sons, en analyse la fonction, la valeur distinctive […] », tandis que, schématiquement parlant, la phonétique « est la science qui s’occupe de décrire dans leur ensemble tous les phénomènes phonétiques d’une langue […] ». La description phonétique peut également avoir un but entièrement linguistique ou scientifique quand le phonéticien enregistre tous les faits de prononciation en en donnant une description aussi précise que possible sans en juger la supériorité par rapport aux autres prononciations éventuelles. Il s’agit alors d’une description linguistique pure (Malmberg 1988 : 9). D’un autre côté, la description peut avoir aussi une fonction pratique, ce qui est le cas de la linguistique normative qui sert à l’enseignement-apprentissage de la langue en question. Il est question alors de phonétique normative, à savoir de l’orthoépie (ibid.). L’apprenant de langue étrangère à besoin d’un modèle à suivre pour pouvoir prononcer correctement, c’est-à-dire de manière intelligible les phonèmes d’une langue à apprendre (voir infra). Dans l’enseignement pratique d’une langue étrangère, l’intérêt se porte, selon Kalmbach (2011, Ch. I.1.1), sur la phonétique articulatoire, à savoir « comment ces phonèmes doivent être articulés (par la langue, la bouche, les cordes vocales, etc. ». Il s’agit en général des sons qui diffèrent le plus de la langue maternelle de l’apprenant. Il est certain que la connaissance des phonèmes simples ne suffit pas, il est nécessaire également d’acquérir des compétences quant à la prosodie, notamment le rythme et l’intonation de la langue cible (cf. Heinonen-Aho à paraître ; Kalmbach 2011). Il s’ensuit de ce qui précède que l’enseignement-apprentissage de la phonétique d’une langue étrangère porte en général sur la prosodie et sur l’orthoépie de celle-ci.

La méthode structuro-globale-audiovisuelle (SGAV) des années 50 et 60 s’est basée en phonétique sur l’imitation et la mémorisation du modèle structurel d’une langue avec des exercices répétés (drills), des dialogues fabriqués. Cette méthode est encore utilisée dans l’enseignement-apprentissage partout dans le monde, même si elle est beaucoup critiquée (Kalmbach 2007 ; Morley 1991 : 485). Selon Morley (ibid.), dans les années 70 et 80, le questionnement sur l’apprenabilité (learnability) de la prononciation dans un enseignement scolaire ou guidé a émergé, ce qui a résulté en une diminution de l’enseignement explicite de la prononciation. Ce phénomène était lié à une nouvelle approche didactique (communicative, axée sur les compétences) qui soulignait l’importance des fonctions langagières, des méthodologies basées sur des tâches et des matériaux réalistes et authentiques. Ledru-Menot (2008 : 25) postule qu’en « didactique du FLE, « phonétique » est devenu un mot tabou, quand les approches dites communicatives sont apparues ».

Morley (1991 : 486) indique pourtant qu’il y a un nouvel intérêt pour l’enseignement de la prononciation surtout pour les adultes ou les jeunes adultes.[1] Ce qui semble désormais devenir pertinent dans les études de la prononciation est le lien entre la prononciation et l’orthographe, le lien entre l’oral et l’écrit (cf. aussi Detey et Nespoulos 2008). De l’avis de Ledru-Menot (ibid.), depuis quelques années, la phonétique se manifeste de nouveau dans les matériels didactiques à la demande d’enseignants en ayant besoin pour « la construction des compétences de compréhension et de production, orales et écrites, dans leurs dimensions interactives ».

2.2. Compétences orales  : les buts didactiques

La parole ou le langage oral forme une partie essentielle des activités cognitives des êtres humains. La compétence orale est la première à apparaître en langue maternelle (L1), tandis qu’en langue étrangère (L2) l’apprentissage est souvent basé sur le code écrit. Il est à noter qu’il y a un lien étroit entre les sons et les lettres, mais on préfère actuellement parler plutôt du degré d’indépendance des processus de production orale et écrite, ou – comme le mentionnent Bonin et al. (2001 ; voir aussi Bonin 2005) dans le titre de leur article – d’une (relative) autonomie de l’écrit par rapport à l’oral. Ils confirment sur cette problématique que

[...] la production écrite d’un mot peut être réalisée sans l’intervention ni le support même partiel de la phonologie de ce mot. Cela ne signifie pas que la phonologie et l’orthographe d’un mot ne puissent pas interagir dans le cours normal de l’écriture, mais seulement que le traitement de la phonologie n’est pas obligatoire pour écrire un mot (id. : 81).

Il est possible de dire en simplifiant que la parole vise principalement à transmettre un message de manière compréhensible.[2] Dans l’approche communicative qui règne toujours dans l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, les compétences orales sont fortement privilégiées. Il semble donc paradoxal que cette approche néglige autant l’enseignement-apprentissage d’une partie incontournable des compétences orales telle que la phonétique et la prononciation. À l’instar de Morley (1991 : 488), nous pensons que : « Intelligible pronunciation is an essential component of communicative competence ».

Néanmoins, il semble que la didactique de la phonétique en FLE manque de moyens ou de techniques dont les résultats soient incontestables. Ledru-Menot (2008 : 26-28) présente cinq grandes tendances dans l’histoire des pratiques en phonétique et didactique du FLE, du FLS et du FLM. La cinquième qu’elle a élaborée s’intitule « l’orientation ethno-psycho-socio-phonétique et kinésique » et est le fruit de ses propres expériences en tant qu’enseignante, sur la base des méthodes SGAV et d’autres recherches en phonétique. À son avis, cette approche « intégrative et englobante » est une approche élargie de l’oral (l’oralité) et de la communication donnant priorité aux activités individuelles et de groupes autour d’enregistrement et de situations pédagogiques concrètes. Malheureusement, son article ne révèle pas plus en détail son approche ni comment l’enseignement-apprentissage se réalise lors des cours.

L’idée de l’approche intégrative et englobante nous semble pourtant pertinente à cette époque soulignant aussi bien l’importance de compétences communicatives reliant le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le savoir-apprendre que les idées du socio-constructivisme centré sur l’apprenant. Dans le Cadre européen commun de référence (CECR) qui constitue la base éducationnelle de l’enseignement des langues étrangères en Europe, la compétence phonologique est mentionnée comme une composante des compétences communicatives langagières. Qu’en dit-on exactement ? La compétence phonologique suppose : « une connaissance de la perception et de la production et une aptitude à percevoir et à produire » les phonèmes et leurs allophones dans des contextes particuliers, les traits distinctifs, la composition phonétique (par exemple, l’accentuation des mots), la prosodie ou la phonétique de la phrase (par exemple, l’intonation, l’assimilation, l’élision) (2000 : 91-92 ; cf. aussi Picard 2007). En outre, la compétence orthoépique constitue en la capacité à produire une prononciation correcte à partir de la forme écrite une fois que les utilisateurs de langue sont amenés « à lire un texte préparé à haute voix, ou à utiliser dans un discours des mots rencontrés pour la première fois sous leur forme écrite » (ibid.). Ces exigences relient la compétence phonologique à la compétence orthographique et vice-versa.

Pour les autres compétences, le CECR propose différentes méthodes d’apprentissage afin d’atteindre les buts. Quant à l’orthographe et la phonologie, il liste des moyens avec chaque fois un point d’interrogation à la suite d’une proposition sous forme de question  : « Comment peut-on attendre ou exiger des apprenants qu’ils développent leur capacité à prononcer une langue » [par la simple exposition…, etc. ?]. À notre avis, cela témoigne du fait que la didactique de la phonétique en FLE est dépourvue de moyens dont la réussite soit garantie. Néanmoins, au lieu de s’abandonner aux jeux du hasard quant au développement des compétences phonétique et orthographique des apprenants, nous affirmons « l’enseignabilité » (teachability) de ces compétences (cf. aussi Ruuska 2013 ; Tergujeff 2013). Et ce d’autant plus qu’une prononciation intelligible, une prononciation correcte forme le socle sur lequel une compétence orale efficace se construit.

2.3 L’enseignement du français

Le contenu le plus pertinent dans l’enseignement-apprentissage de la phonétique et de la prononciation suscite l’intérêt des chercheurs depuis des décennies (Morley 1991 ; Picard 2007). Comme on peut s’en douter, les phonèmes simples ainsi que les phénomènes de la prosodie sont au centre de cet enseignement-apprentissage. Mais quels phonèmes et quels phénomènes prosodiques enseigner ? Les apprenants de français doivent-ils connaître également les allophones et les variantes régionales, dialectales ou sociolinguistiques ? En effet, dans le monde globalisant d’aujourd’hui, les apprenants de langue sont confrontés à différents types de prononciation par des natifs et des non natifs. Dans ce sens, Ledru-Menot (2008 : 26) propose même de redéfinir le concept d’« accent étranger ». Selon nous, il n’en demeure pas moins que les apprenants ont besoin d’un modèle à suivre en phonétique et en prononciation pour acquérir d’abord les connaissances élémentaires. Par la suite, après avoir intériorisé ces connaissances, ils peuvent plus facilement comprendre la variation intralinguistique.

à la suite de Picard (2007 : 340), on se pose la question de savoir si la connaissance, entre autres, des allophones nécessite une compétence active ou uniquement passive, à savoir la conscience de leur existence. Toutefois, il est clair que le choix est généralement dicté par des contraintes pratiques telles que le nombre de cours dispensés et les connaissances des enseignants en ce qui concerne les variantes. En effet, la réalité dans les classes de langue est que le corps enseignant est souvent constitué de professeurs non natifs. Dans ce cas de figure, il y a des avantages et des inconvénients. Les non natifs peuvent avoir une moindre connaissance des variantes et ainsi l’évaluation de la production des apprenants peut s’avérer difficile en raison d’une moindre tolérance d’une variabilité acceptable pour un natif (voir infra). Cependant, les non natifs ont accès à la langue maternelle des apprenants en question. Il semble que surtout les débutants aient beaucoup recours à leurs connaissances de leur L1 pour faciliter le lien entre les différents systèmes linguistiques (Picard 2007 : 336). Si les deux langues en question ont un système phonémique semblable, cela peut faciliter l’apprentissage, mais si les systèmes divergent, il se peut qu’il y ait de l’interférence ; par exemple le mot architecte [aʁʃitɛkt] en français et arkkitehti [-kː-] en finnois (cf. aussi Ruuska 2013).[3] La norme orthoépique à apprendre est le plus souvent le diaclecte du français du nord du pays, le plus souvent de la région parisienne (Warnant 1987 ; 2006 ; Léon 1997 ; Malmberg 1988 ; Kalmbach 2011 : 62), même si cette variante peut également être opposée comme modèle.

3. Évaluation de la prononciation en langues étrangères

L’évaluation de productions orales d’apprenants est toujours une tâche épineuse, y compris en ce qui concerne la prononciation. Sont ainsi d’abord évalués la correction des phonèmes simples et deuxièmement les groupes rythmiques et l’intonation naturelle (cf. CECR, 2000 : 92 ; Ruuska 2013 ; Tergujeff 2013). Il semble que la difficulté à évaluer tienne justement à cette bipolarité du domaine : la distinction entre les phonèmes simples et les traits proso­di­ques (voir supra).

Wiik (1981 : 191-192), en parlant de l’enseignement-apprentissage de la phonétique, propose que, pour savoir quelles sont les erreurs les plus graves, soit sollicité l’avis d’informateurs natifs. Son point de vue concernant les erreurs graves est phonologique (phonémique), à savoir que le sens du mot change à cause de la prononciation fautive d’un phonème (par exemple, dessert [desɛʁ] – désert [dezɛʁ]). Ainsi le message devient-il inintelligible. Or mettre en pratique cette proposition n’est pas toujours possible lors de l’enseignement ordinaire dans un contexte non naturel comme celui en Finlande pour des raisons pratiques.

Qu’il s’agisse d’évaluateurs natifs ou non natifs, il est évident que l’évaluation de productions orales (et écrites) libres d’apprenants est plus subjective que celle de tests fermés ou à choix multiples, ceci sans minimiser la compétence des évaluateurs. Lintunen (2004 : 97-98) indique que de nombreuses études concernant la production (la performance) en langue étrangère se concentrent sur les différences d’opinion des évaluateurs. Entre autres, il semble que les évaluateurs non natifs soient plus sévères que les évaluateurs natifs vis-à-vis de la prononciation d’une langue étrangère, et ce surtout lorsque l’évaluation se base plutôt sur les phonèmes simples que sur la prosodie. En effet, si les deux groupes considèrent les erreurs consonantiques plus graves que celles portant sur les phonèmes vocaliques, les non natifs semblent plus sensibles à ces dernières.

Peacock (2002) affirme que trouver des évaluateurs extérieurs dignes de confiance est difficile, car ceux-ci doivent, premièrement, être compétents, et deuxièmement, être prêts à effectuer le travail requis (cité dans Lintunen 2004 : 97). De plus, la compétence à évaluer la performance en langue étrangère varie selon les locuteurs, certains étant plus ou moins sensibles aux phénomènes phonétiques que d’autres, même dans leur langue maternelle. Il s’agirait alors plutôt d’une aptitude individuelle. Dans sa recherche, Lintunen (ibid. : 97-100) a effectivement montré qu’un expert en phonétique non natif était plus strict envers la variation phonétique que les deux autres évaluateurs, l’un non natif non expert en phonétique, mais expert en anglais langue étrangère (SLA) et l’autre natif non expert en phonétique mais expert en SLA.

Ces études mentionnées sont liées à l’anglais, mais nous avons voulu voir si ces tendances étaient visibles aussi dans notre corpus. Nous avons donc voulu étudier l’impact d’évaluateurs différents avec des connaissances antérieures diverses sur la phonétique française sur l’évaluation de productions orales d’apprenants. Par conséquent, nous avons fait une petite expérimentation hors des cours pour améliorer notre enseignement aussi bien du point de vue du contenu que du point de vue évaluatif.

4. Notre étude

4.1. Enseignement-apprentissage de la prosodie et de l’orthoépie françaises au niveau universitaire

Dans cet article, il s’agit d’un cours de base sur la phonétique française au premier niveau d’études universitaires. Avec la réforme LMD (licence-master-doctorat), le nombre de cours de contact a diminué et il ne reste que deux séances de contact par semaine pendant six semaines d’enseignement. Le cours comprend un cours magistral (2h/semaine) et des exercices pratiques de prononciation (2h/semaine) dans un laboratoire de langues. Néanmoins, les apprenants peuvent faire des exercices supplémentaires sur la plateforme virtuelle Moodle et ils peuvent recourir au manuel utilisé lors des cours disponible sur Internet. Le manuel de référence pour le cours est Phonétique et prononciation du français pour apprenants finnophones par Kalmbach (2011)[4]. Tous les autres ouvrages indiqués dans la bibliographie sont également utilisés comme références.

Ces apprenants non débutants ont bénéficié d’un enseignement de français pendant au moins trois ans au lycée (ou ont des compétences équivalentes). Toutefois, l’enseignement-apprentissage du français est optionnel au lycée, avec un faible volume de cours, les enseignants n’ont guère la possibilité d’enseigner aux élèves la phonétique française de manière explicite (cf. Ruuska 2013). Ainsi, les élèves connaissent rarement le lien entre les signes diacritiques, l’orthographe et la prononciation en arrivant à l’université (cf. aussi Lintunen 2004 : 227-231). Il serait exagéré de demander que les étudiants apprennent tous les secrets de la phonétique française en si peu de temps, mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des connaissances élémentaires orthoépiques et prosodiques, l’importance de la prononciation correcte – la beauté elle-même de bien prononcer en plus de l’intelligibilité de la communication – et l’exercice physique des organes de la phonation lors de la prononciation des phonèmes étrangers (Kalmbach 2011, Introduction). Pendant le cours, des connaissances actives des normes orthoépiques sont requises mais elles peuvent diminuer après celui-ci. Cependant, nous sommes sûres que leurs métaconnaissances du système linguistique du français augmentent.

Nous avons basé notre cours de phonétique-prononciation sur la variante du nord du pays, notamment de la région parisienne (cf. supra) en nous concentrant sur les phonèmes considérés les plus difficiles pour les apprenants finlandais (cf. Kalmbach 2011 ; Wiik 1981). Le cours magistral présente les phénomènes en question et le cours pratique exerce ces savoirs. Les apprenants imitent individuellement l’enregistrement audio de locuteurs natifs (travail personnalisé en laboratoire de langues), ils lisent des mots et des phrases bien calibrés et entraînent leur oreille à ce système phonétique différent, l’enseignant servant de guide dans ces exercices. La répétition des phonèmes et des phrases sur la base d’un modèle écrit en alphabet latin semble un moyen adéquat pour l’apprentissage de la prononciation (Kolers 1988 ; Vlad 2008 ; Ruuska 2013), même si elle est considérée parfois comme démodée (Ledru-Menot 2008). Compte tenu du temps limité, nous partons des éléments rythmico-mélodiques de la langue pour ensuite nous concentrer sur les phonèmes simples. En fait, nous suivons l’ordre naturel de l’apprentissage des enfants en L1 (Ledru-Menot 2008 : 25), même si le plus souvent, c'est l’ordre inverse qui est privilégié dans l’enseignement des langues étrangères (Malmberg 1988 : 5; Kalmbach 2001, Introduction : Notice sur les exercices de prononciation).

Le cours a été donc dispensé au moment du test par un enseignant non natif finnophone qui n’est pas phonéticien – une réalité dans l’enseignement des langues étrangères même au niveau universitaire – mais qui a une expérience de plusieurs années dans le domaine du FLE. Ce cours est le seul sur la phonétique et la prononciation du français dans l’ensemble du cursus menant au diplôme de master. À la fin du cours, les connaissances pratiques des apprenants sont évaluées à partir d’un travail écrit sur la partie théorique et d’un test de prononciation où les apprenants lisent deux textes : un texte déjà connu et un texte inconnu donné pendant le test (cf. CECR 2000  : 92 ; Lintunen 2004 : 93). Ces productions ont été évaluées par l’enseignant du cours.

4.2. Corpus [5]

Notre corpus est bipartite : d’abord, nous avons collecté les productions de quatre apprenants[6] de langue ayant participé à notre enseignement de phonétique et de prononciation. Ces productions ont été choisies sur la base de l’évaluation de l’enseignant qui les a considérées comme étant relativement difficiles à évaluer en raison de l’écart entre la prononciation des phonèmes simples et les traits prosodiques. Lors de l’examen, les étudiants ont eu à lire un texte déjà connu qu’ils avaient pu préparer à la maison ainsi qu’un texte inconnu (cf. Annexe 1). Nous avons recueilli également au début et à la fin du cours des commentaires métalinguistiques concernant la phonétique et la prononciation des apprenants (cf. tableau 2).

Ensuite, nous avons soumis ces productions à 6 Français natifs et à 6 non natifs de langue maternelle finnoise pour qu’ils les évaluent. Les évaluateurs se répartissent en trois groupes principaux avec quelques sous-catégories :

a) Français natifs : 1 enseignant, 2 stagiaires du domaine du FLE, 3 stagiaires en sciences politiques ;

b) non natifs : 2 apprenants de langue ayant assisté au cours l’année précédente et qui seront à l’avenir enseignants de français ;

c) non natifs : 3 enseignants de langue, 1 enseignant-chercheur sans cursus pédagogique

Pour évaluer les productions, nous avons demandé aux évaluateurs d’écouter les extraits des quatre personnes et d’indiquer quelle note ils donneraient à ces productions. Nous leur avons demandé de faire attention à la prononciation de certains phonèmes, notamment les voyelles nasales [ɛ̃, œ̃, ɔ̃[7]], les consonnes [s, z,ʃ, ʒ, ʁ], les semi-consonnes [j, ɥ, w], de faire attention à la prononciation des fins des mots, à la prononciation des groupes rythmiques et à la prosodie – et nous leur avons donné des consignes écrites avec des exemples pour faciliter la tâche. Les phonèmes choisis étaient considérés comme difficiles pour les apprenants finlandais dans le cadre de la lecture à haute voix d’un texte écrit (cf. Kalmbach 2011 ; Wiik 1981). Aussi étions-nous intéressées de savoir, à travers leurs commentaires, quels phénomènes attiraient l’attention des évaluateurs. Ces derniers ont participé à l’expérimentation dans un laboratoire de langues. L’ordre des productions à évaluer était aléatoire pour chaque évaluateur. Selon les évaluateurs, il semble que la première production ait été la plus difficile à évaluer, mais qu’ensuite, après qu’ils se sont habitués à la tâche, l’évaluation soit devenue plus facile à accomplir.

Dans le tableau 1 sont présentées les connaissances préalables des évaluateurs à partir d’un questionnaire auquel ils ont répondu lors de l’expérimentation (cf. Lintunen 2004 : 96-102). Lors de notre analyse, nous commenterons l’influence éventuelle des connaissances préalables des évaluateurs sur l’évaluation des productions des apprenants.

Tableau 1. Connaissances préalables des évaluateurs

E L1 Majeure Matières étudiées/diplômes Rapport avec la langue française Connaissance : enseignement du français Connaissance : phonétique et prononciation Connaissance : enseignement / apprentissage de la phonétique (fra)
N1 bfa - enseignant-chercheur E, PQ E CE en fra, ang, sué oui/oui
N2 fra FLE FLE master 1 LM E - stage connaît API non
N3 fra FLE FLE master 2 LM, PQ bonnes CE en fra non/oui
N4 fra SP SP, soci, lett LM comme élève peu, CE en ang non/non
N5 fra SP SP, litt, éco, HP, droit, soci, ang, all LM - faibles non/non
N6 fra SP SP, éco, soci, HP, ang, esp, géo, RI LM aucune faibles non/non
NN1 fin fra fra, ang, EP étudiant, 7 ans de fra, stages de 3 moins aucune CE général, CE en fra et ang non/oui
NN2 fin fra fra, LG, HP étudiant, 10 de fra, année d’échange quelques cours privés CE général et CE en fra oui/oui
NN3 fin fra Maître ès Lettres doctorant, PQ quelques cours CE général et CE en fra non/oui
NN4 fin fra Maître ès Lettres fra, russe, EP, ang E, PQ E au collège, au lycée, à l’univer-sité CE général et CE en fra, ang, russe oui/o ui
NN5 fin fra Maître ès Lettres fra, HG, EP, IM, esp PQ quelques cours à l’école maternelle, au collège, E pour adultes CE général et CE en fra oui/non
NN6 fin fra Maître ès Lettres fra, ang, EP, HP, LG année d’échange, PQ quelques cours au lycée, E pour adultes CE général et CE en fra et ang non/oui
E = évaluateur, N= natif, NN = non natif ; all = allemand, ang = anglais, bfa = bilingue français-anglais, esp = espagnol, fin = finnois, fra = français, sué = suédois ; EP = études pédagogiques, FLE = français langue étrangère, HG= histoire générale, HP = histoire politique, IM = études sur l’immigration et la multiculturalité, LG = linguistique générale, RI = relations internationales, SP = sciences politique, éco = économie, géo = géographie, lett = lettres, litt = littérature, soci = sociologie ; E = enseignement, LM = langue maternelle, PQ = pratique quotidienne ; API = l’alphabet phonétique international, CE = cours élémentaire en phonétique

5. Évaluation de la production des apprenants par des natifs et des non natifs

Nous présenterons d’abord les commentaires des apprenants sur les difficultés de la phonétique, recueillis au début du cours et à la fin, lors de l’examen. Seront ensuite abordées les notes données sur les productions des apprenants par les évaluateurs, et enfin, nous discuterons de leurs commentaires concernant les productions.

Dans le tableau 2 sont présentés les commentaires des apprenants au début du cours (Qu’est-ce qui est problématique pour toi dans la prononciation du français ?) et à la fin du cours. Les commentaires de la fin du cours obtenus lors du test sont des commentaires des apprenants sur leur production d’un texte lu pendant le premier cours de prononciation – il s’agit en partie du même texte que dans le test, notamment du texte 1. Dans le test, ils ont donc d’abord écouté leur propre production, puis analysé leur production à l’aide des questions (Qu’est-ce qui est bon dans ta prononciation ? Qu’est-ce qu’il faut améliorer dans ta prononciation ?) Finalement, ils ont lu les deux textes requis que l’enseignant a ensuite évalués (cf. Annexe 1).

Il ressort du tableau 2 qu’au début du cours, les apprenants pensent avoir des difficultés surtout avec la distinction entre les voyelles françaises ouvertes et fermées et les voyelles nasales. En finnois, il n’y a pas de distinction relative à l’ouverture des voyelles, mais au contraire, il y a une différence de longueur ; les voyelles nasales n’existent pas non plus en finnois (Kalmbach 2011 ; Wiik 1981). Ce qui semble difficile également est la distinction entre les phonèmes [s z ʃ ʒ] car en finnois, il n’existe originellement que le phonème [s], les autres existant seulement dans les mots d’emprunt.

En comparant les réflexions recueillies à la fin du cours à propos des productions du début du cours, nous remarquons que les apprenants mentionnent principalement d’autres phénomènes phonétiques devant être améliorés. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils connaissent par exemple la distinction entre les voyelles et la produisent sans s’en apercevoir, mais plutôt qu’ils n’entendent pas la distinction et ainsi ne peuvent donner leur avis là-dessus. Nous en concluons que, pour les apprenants, la différence entre les voyelles nasales et orales est plus facile à distinguer que l’ouverture des voyelles.

Tableau 2. Commentaires métalinguistiques des apprenants

Étudiant Au début du cours[8] Lors du test
Problématique dans la prononciation du français ? Bonne prononciation ? A améliorer dans ta prononciation ?
E1 Les différences entre les voyelles ouvertes et fermées. L’intonation variée. La liaison obligatoire le plus correcte. La distinction entre les phonèmes [s z ʃ ʒ] le plus souvent correcte.   Les groupes rythmiques. Je parle trop vite et oublie de respirer. Quelques mots particuliers sont mal prononcés.
E2 Les voyelles nasales, la différence entre les voyelles ouvertes et fermées. Les groupes rythmiqus sont corrects. J’ai bien prononcé les [z] dans les liaisons. Les voyelles sont bien prononcées. La différence entre les phonèmes [ʃ] et [ʒ] pourraient être plus nette. Quelques liaisons interdites prononcées (et ¥on). Les voyelles nasales parfois mal prononcées.
E3[9] - Les phonèmes [ʃ] et [ʁ] bien prononcés. Les groupes rythmiques corrects. J’ai prononcé la lettre c comme ç (vécues). Le phonème [ʒ] mal prononcé. Le phonème [z] mal prononcé quand il correspond à la lettre s entre les voyelles.
E4 Les différences entre les voyelles ouvertes et fermées. La distinction entre les phonèmes [s z ʃ ʒ]. La difficulté de prononcer beaucoup de mots courts l’un après l’autre rapidement. Le phonème [ʁ]. L’intonation correcte. La liaison correcte. Les voyelles. Les mots inconnus posent des problèmes. Le tempo, j’aimerais pouvoir parler plus rapidement.

En ce qui concerne la correction de la prononciation, nous la comparons par la suite avec les commentaires des évaluateurs. Il faut toutefois noter que les réflexions des apprenants portaient sur la première version, tandis que les commentaires des évaluateurs portaient sur la version finale. De même, il est important de noter que la lecture à haute voix d’un texte peut varier légèrement d’une fois à l’autre même en langue maternelle. Lors du test, les étudiants ont pu lire les textes autant de fois qu’ils le voulaient avant d’enregistrer la dernière version dans le temps qui leur était imparti. Le tableau 3 indique les notes des évaluateurs quant aux phénomènes auxquels nous leur avons demandé de prêter attention ainsi que la note globale attribuée.

Il ressort du tableau 3 que les notes données varient d’un bout à l’autre et que la note globale est parfois supérieure ou inférieure à la moyenne des notes des facteurs évalués. En comparant les moyennes des notes globales, nous remarquons une légère différence entre les groupes natif et non natif. Les moyennes des notes des étudiants sont les suivantes :

E1 2,92 (N) et 3,33 (NN)    E2 3,75 (N) et 3,58 (NN)

E3 2,83 (N) et 2,67 (NN)    E4 3,90 (N) et 3,42 (NN)

Les moyennes des notes données sont donc plus élevées dans le groupe des évaluateurs natifs sauf en ce qui concerne l’étudiant 1. Cela s’explique en partie par le fait que ses notes concernant les groupes rythmiques et la prosodie ont été plus élevées dans le groupe des évaluateurs non natifs. Cependant, chez cet étudiant, l’écart-type est plus grand dans le groupe des natifs que dans celui des non natifs (,58452 vs. ,51640, respectivement). Ce qui signifie que les notes varient davantage à l’intérieur de ce premier groupe. Partout ailleurs, les écarts-types sont plus grands dans le groupe des non natifs, ce qui est dû en partie à l’hétérogénéité de ce groupe. En effet, les non natifs apprenants de langue (NN1 et NN2), et surtout NN1 a été plus sévère que les autres par rapport à la note globale moyenne. L’étudiant chez qui la variation est la plus importante dans les deux groupes d’évaluateurs en ce qui concerne la note globale est l’étudiant 3. À notre avis, chez lui, il n'y a aucune régularité à discerner, les notes varient de 1 à 3 (les groupes rythmiques), de 1 à 4 (note globale, prosodie), de 2 à 4 (phonèmes simples, fins des mots), la note globale moyenne étant 3. En prenant en compte tous les phénomènes évalues, la production évaluée la meilleure est celle de l’étudiant 4, mais ici aussi les natifs évaluent sa production avec des notes plus élevées que les non natifs (la plus grande différence entre les notes moyennes, 3,90 vs. 3,42).

Tableau 3. Evaluation des productions des apprenants

Etudiant N1 N2 N3 N4[10] N5 N6 NN1 NN2 NN3 NN4 NN5 NN6 M
E1 NG 3/4 3/4 2/3 3 3 2 4 3 4 3 3 3 3
PS 2/3 4 2 3 1 4 2 4 3 3 2
FdM 4 4 2 2 2 3 3 4,5 4 2 3
GR 2/3 3 3 3 3 3 4 4+ 3 4 4
PRO 4 3 2 4 3 4 4 4+ 4 3 3
E2 NG 3/4 4 4 4 4 3 3 4 3/4 4 4 3 4
PS 1/2 3 4 3 3 3 4 3+ 4 5 2
FdM 3/4 4 4 4 3 3 5 4,5/5- 4 4 5
GR 3/4 4 4 4 4 3 5 3+/3,5 4 4 4
PRO 3 4 2 3 3 3 4 3,5 3 3 3
E3 NG 1/2 2/3 3 4 3 3 3 2 3 4 2 2 3
PS 2 2 4 4 4 2 2 3 4 3 2
FdM 3/4 3 2/3 4 2 3 2 3,5 4 2 2
GR 1/2 3 3 2 3 3 2 3+ 3 2 3
PRO 1/2 2 2 2 2 2 3 3+ 4 2 2
E4 NG 4 4 3/4 4 4 4 3 3 4/5 3 3 4 4
PS 3 4 3/4 4 4 3 4 4,5/5 4 4 5
FdM 5 4 4 3 4 3 3 5- 4 3 5
GR 3 4 3 3 3 2 3 4+ 3 3 4
PRO 3 4 2 5 3 2 3 4+ 3 2 4
N = natif, NN = non natif ; M = la moyenne NG = note globale, PS = phonèmes simples, FdM = fins des mots, GR = groupes rythmiques, PRO = prosodie Les notes de 1 à 5 ; correspondance dans le système français : 1 = 8, 2 = 9-10, 3 = 11-12, 4 = 13-15, 5 = 16-20.

 

Les commentaires donnés par les différents évaluateurs peuvent sans doute éclaircir leur réflexion lors des évaluations et les points considérés comme difficiles à évaluer. Dans ce qui suit, nous présentons les réflexions qui, à notre avis, illustrent le mieux la production de chaque étudiant ainsi que certains commentaires témoignant des différences entre les groupes d’évaluateurs.

Métaconnaissances de l’étudiant 1  :

  • Difficultés avec les voyelles ouvertes et fermées et la rapidité de parole (groupes rythmiques)

Commentaires concernant l’étudiant 1 :

  • Phonèmes pas toujours précis ([s z ʃ ʒ]), problèmes avec les fins des mots, i.e. avec les consonnes silencieuses (-er) et les voyelles nasales.
  • Les non natifs commentent également l’imprécision dans la prononciation des voyelles ce qui manque chez les évaluateurs natifs (sauf chez N1, l’enseignant chevronné et habitué à la prononciation des finnophones). Quant à la prosodie, les non natifs sont moins sévères que les natifs : l’intonation de base est correcte (NN4), l’intonation monotone (N6)

Métaconnaissances de l’étudiant 2  :

  • Difficultés avec les voyelles nasales et les phonèmes [ʃ ʒ]

Commentaires concernant l’étudiant 2 :

  • Quelques problèmes avec les phonèmes [s z ʃ ʒ] et les voyelles nasales, les groupes rythmiques et la prosodie semblent bien couler (de temps à autre)
  • Les non natifs commentent également la prononciation de certaines voyelles et parfois la prononciation du phonème [ʁ] car l’étudiant prononce un r dit roulé – apico-alvéolaires (Léon & Léon 1997 : 23-24) – d’où un accent finlandais ; cette prononciation ne semble pas gêner les évaluateurs natifs.

Métaconnaissances de l’étudiant 3  :

  • Problèmes avec les phonèmes [s z ʃ ʒ]

Commentaires concernant l’étudiant 3  :

  • Pas mal de problèmes avec des phonèmes simples, pauses fréquentes dans les groupes rythmiques, intonation et accentuation peu travaillées
  • C’est la prononciation de cet étudiant qui a provoqué le plus de commentaires contradictoires, par exemple, la prononciation des phonèmes simples assez bien (N3) ; des problèmes avec des voyelles, aussi avec [s z ʃ ʒ] (NN1), problèmes avec des fin de mots (NN2)

Métaconnaissances de l’étudiant 4  :

  • Voyelles, le tempo

Commentaires concernant l’étudiant 4 :

  • Meilleure prononciation de mots dans les enregistrements mais toujours ce problème d’intonation monotone (N6)
  • Les non natifs sont plus sévères que les natifs quant à la production de cet étudiant à cause des phénomènes liés à prosodie : les groupes rythmiques sont mal faits ce qui dérange la production (NN4) ; les pauses sont irritantes (NN2).

En confrontant nos résultats avec les résultats de Lintunen (2004), nous pouvons conclure que dans notre expérimentation il n’y avait pas de grandes différences dans l’évaluation faite par les évaluateurs natifs et non natifs en ce qui concernait la note globale des étudiants. Les évaluateurs non natifs avaient tendance à être légèrement plus sévères, surtout les non natifs apprenants de langue. Certes, l’évaluation par chaque évaluateur varie dans une certaine mesure. La plus grande variation se trouvait dans l’évaluation de la production de l’étudiant 3. Ce sont les évaluateurs non natifs qui ont commenté le plus la prononciation des voyelles (cf. Lintunen, ibid.), à l’exception de l’enseignant natif expérimenté habitué à la prononciation des finnophones (N1) – ce fait étant lié à la différence entre les systèmes vocaliques des deux langues (cf. Kalmbach 2011 ; Wiik 1981). Nous ne pouvons pas de tirer de conclusions définitives sur la raison de cette différence, si elle est liée par exemple à la mentalité ou culture différente.

Quant à la prosodie, il semble que les non natifs soient moins sévères que les natifs. Ce résultat corrobore le résultat de recherches antérieures (Lintunen, ibid.). Il se peut que ce résultat soit lié au fait qu’en finnois la variation prosodique est moins forte et qu’en français les traits prosodiques ont une importance plus grande et parfois même une fonction distinctive. Par conséquent, une certaine variation dans la production rend celle-ci plus naturelle à l’oreille d’un évaluateur finnophone qu’à celle d’un évaluateur francophone comme en témoigne le cas de l’étudiant 1. L’enseignant natif (N1) commente ainsi : « efforts pour bien lier sens / forme » en donnant la note 4. Les autres natifs, stagiaires, indiquent que son intonation est monotone. Or, la production hachée de l’étudiant 4 (relative aux groupes rythmiques et à la prosodie) provoque plus d’irritation chez les évaluateurs non natifs que chez les évaluateurs natifs qui apprécient en revanche la prononciation correcte des phonèmes simples malgré ces défauts prosodiques.

Le fait d’avoir fait des études pédagogiques (i.e., une certaine expérience en FLE) ou d’avoir assisté à l’enseignement de la phonétique (i.e., une certaine expérience dans le domaine) ne semble pas influencer la note globale. Mais la difficulté à évaluer ou à commenter les facteurs séparés a été telle que l’un des évaluateurs natifs non-enseignant (étudiant en sciences politiques) n’a même pas noté les facteurs séparés (N4) ; pour la compétence d’évaluer, voir par exemple Peacock (2002). Il est évident qu’un corpus plus grand nous permettrait de tirer des conclusions plus précises sur ce phénomène.

De plus, ce qui s’avère intéressant est la prononciation du phonème [ʁ] par l’étudiant 2 qui éveille l’attention des non natifs, étant prononcé avec un r dit roulé (Léon & Léon 1997) ce qui donne un accent finlandais à la production de l’étudiant. L’intérêt vient du fait qu’à l’école, les élèves pensent souvent que c’est justement ce phonème qui pose des problèmes puisqu’il se prononce différemment en finnois et en français. Mais comme il ne s’agit pas de distinction phonologique pouvant changer le sens du mot et ainsi provoquer un malentendu (cf. Kalmbach 2011 ; Malmberg 1988 ; Wiik 1981), cela n’est pas considéré comme une erreur grave, mais seulement comme la marque d’un accent étranger, une nuance piquante (cf. Ledru-Menot 2008 : 26).

Il semble que les étudiants connaissent au moins en partie leurs points faibles en prononciation après avoir participé au cours. Leur prononciation ne s’améliore pas nécessairement beaucoup pendant ce cours très limité (six séances), notamment en raison de certaines erreurs fossilisées, mais leurs connaissances métalinguistiques augmentent de manière certaine. Nous pensons que ce savoir peut les aider par la suite à prêter attention, si nécessaire, aux phonèmes difficiles ou aux traits prosodiques.

6. En guise de conclusion

Dans l’introduction de cet article, nous avions posé les questions suivantes : quelle est la différence entre une évaluation par les natifs et une par des non natifs ? Les natifs non habitués à l’enseignement de la prononciation sont-ils plus nuancés quant à l’évaluation de la prononciation ? Les non natifs sont-ils plus sévères dans leur évaluation comme cela a été démontré dans d’autres travaux antérieurs ?

Il ressort de notre analyse qu’il y a effectivement des différences, mais qui ne sont pas toutes liées à la langue maternelle de l’évaluateur. En ce qui concerne certains phénomènes, les natifs sont plus nuancés (par ex. l’intonation), mais en ce qui concerne d’autres, c’est au tour des non natifs de mieux sentir les différences (par ex. l’imprécision dans la prononciation des voyelles). Certaines différences peuvent être dû au fait que tous les non natifs ont fait des études de français et ainsi ils ont certaines métaconnaissances liées au domaine. Refaire l’expérience avec des experts en phonétique et avec des groupes d’évaluateurs plus nombreux seraient un moyen d’obtenir des évaluations plus précises. Malgré cela, dans la situation de l’enseignement-apprentissage du FLE, le travail est souvent effectué par des enseignants, natifs ou non natifs, très compétents dans leur domaine, mais en général non spécialistes en phonétique (cf. aussi Ruuska 2013 ; Tergujeff 2013). Ce résultant nous donne néanmoins de la confiance dans l’apprenabilité de la prononciation dans le contexte finlandais et dans la capacité d’en évaluer la qualité par les enseignants non natifs.

Dans notre expérimentation, la prononciation des apprenants était évaluée à partir de textes lus à haute voix, un type d’exercice qui influe sur la production, sur la compréhension du texte et sur l’évaluation. Quand il s’agit de la production libre des apprenants, malgré certaines erreurs phonétiques et de prosodie, le message peut se comprendre dans l’interaction entre les locuteurs dans la mesure où des moyens extralinguistiques tels que les gestes aident également à l’intercompréhension. Enfin, si les accents étrangers nuancent la production, il est important que les erreurs phonologiques ne perturbent pas la compréhension. Il semble pertinent que, dans l’enseignement-apprentissage du FLE, l’importance d’une prononciation correcte soit reconnue comme une partie essentielle de la compétence communicative orale.


Notes

1. Il est devenu évident sur la base de nombreuses études que les enfants acquièrent la prononciation d’une langue étrangère presque gratuitement s’ils ont accès à cette langue dès leur première enfance de manière constante ; cf. l’hypothèse de la période critique (Picard 2007  : 335).

2. Pour une présentation plus détaillée sur le fonctionnement de l’oral et les actes de langage, voir entre autres Moeschler et Auchlin (2000).

3. Nous nous référons aux ouvrages de Kalmbach (2011), Léon (2000), Léon et Léon (1997), Malmberg (1988) et Warnant (1987, 2006) en ce qui concerne la transcription des phonèmes. Ces ouvrages se servent de l’alphabet phonétique international (API).

4. Version précédente était utilisée au cours au moment du test  : Kalmbach,J-M. 2007. Prononciation françaiseRanskan ääntäminen. Théorie et exercices – teoria ja harjoitukset. Jyväskylän yliopisto  : Kielten laitos.

5. Nous remercions tous les étudiants, stagiaires et collègues finnophones et francophones qui ont participé à l’expérimentation.

6. Il s’agit d’étudiants de mineure ; les majeures de ces étudiants sont l’anglais (2), le suédois et l’espagnol.

7. Pour une présentation plus détaillée de la vibrante alvéolaire, voir Kalmbach (2011 : 38), Léon & Léon (1997  : 22-25) et Malmberg (1988  : 110-113).

8. Les étudiants ont répondu aux questions sur la plateforme Moodle après le premier cours théorique d’où leur savoir sur la distinction entre les systèmes phonétiques différents.

9. L’étudiant n’a pas assisté au cours théorique, il a passé la partie théorique en lisant le livre de Kalmbach (2007) et en répondant aux questions sur ce livre (dit « examen sur bibliographie »).

10. L’évaluateur N4 n’a indiqué que la note globale en indiquant que les phénomènes particuliers étaient difficiles à noter.


Références

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Wiik, K. (1981). Fonetiikan perusteet. Porvoo-Helsinki-Juva : WSOY.



Annexe  : textes utilisés

Texte 1

Les grandes personnes m’ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boa ouverts ou fermés, et de m’intéresser plutôt à la géographie, à l’histoire, au calcul et à la grammaire. C’est ainsi que j’ai abandonné, à l’âge de six ans, une magnifique carrière de peintre. J’avais été découragé par l’insuccès de mon dessin numéro 1 et de mon dessin numéro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatiguant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications.

J’ai donc dû choisir un autre métier et j’ai appris à piloter des avions. J’ai volé un peu partout dans le monde. Et la géographie, c’est exact, m’a beaucoup servi. Je savais reconnaître, du premier coup d’œil, la Chine de l’Arizona. C’est très utile, si l’on est égaré pendant la nuit.

J’ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sérieux. J’ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. ça n’a pas trop amélioré mon opinion.

Texte 2

J’ai tiré peu d’enseignements du reste de la première série de leçons de conduite que je pris quelque dix ans plus tôt. Dans une voiture-école, mon moniteur, corpulent quinquagénaire blond et chauve qui portait invariablement un étroit tricot beige, venait me chercher chez moi à des heures convenues par avance. Je l’attendais sur le trottoir et guettais le coin de la rue d’où débouchait la petite auto caractéristique qu’occupait presque intégralement sa grosse silhouette. Il garait la voiture devant moi, et, se transportant avec difficulté sur l’autre siège dans un plissement de flanelle qui dévoilait un mollet subreptice et une chaussette fanée, rajustait ses pantalons et, enfin bien installé au fond de son nouveau siège, me faisait démarrer d’un air accablé et maussade. Puis, passant la moitié de la leçon à essuyer ses lunettes dans un mouchoir avec un sourire angélique qui m’énervait et l’autre à tester au-dessus de lui la limpidité nouvellement acquise de ses verres, il me guidait de temps à autre par de brèves injonctions de la monture de ses lunettes dans un dédale de rues qu’il connaissait par cœur. Méthodiquement, je passais pour ma part les vitesses…, un pied sur l’embrayage, l’autre en attente, prêt à s’inscrire à point nommé sur l’accélérateur. Oppressé et tendu dans cet exercice, il m’arrivait d’ouvrir ma vitre lors des arrêts aux feux de signalisation ; regardant dehors distraitement, je tapotais sur le volant pour apaiser ma nervosité…

Kieliskooppi

11/2013