Guide de pro­non­cia­tion française pour apprenants finnophones
5. Un magasin d’antiquités : le système graphématique du français

Un système incohérent et obsolète

Pendant plusieurs centaines d’années, le sys­tème graphématique du français s’est formé sans di­rec­tion d’en­sem­ble, en créant beaucoup de règles souvent contradictoires. Quand elles com­men­cé à être règlementées (par l’Académie française au XVIIe siècle), ces règles contradictoires et sou­vent redondantes, au lieu d’être cor­ri­gées, ra­tio­na­li­sées et harmonisées, sont devenues la nor­me de la graphie du français. Le résultat est un vaste ensemble de règles incohérentes, comme on peut le cons­tater dans la liste des graphèmes.

Ce système graphématique est également très obso­lè­te [vanhentunut]. En exagérant à peine, on peut dire que le français s’écrit comme il se prononçait il y a 600 ans. Durant tout ce temps, la langue a évolué énormé­ment et elle évolue sans cesse, mais l’orthographe ne reflète pas ces changements. On continue d’écrire des lettres ou des syllabes entières qui ont disparu depuis longtemps dans la pronon­cia­tion.

La conséquence, c’est que pour apprendre à pro­non­cer le français, l’apprenant de français langue étrangère doit aussi avoir des capacités d’abstraction : quand on parle, il faut « oublier » de pro­non­cer des lettres, des syllabes ou des mots entiers qui sont écrits, et quand on entend le français oral, il faut savoir restituer mentalement [palauttaa] les lettres ou syllabes non pro­non­cées dans les phrases qu’on entend : lodʒur l’autre jour, sidːisːa s’ils te disent ça, ʃtlavᴇdi je te l’avais dit.

Un magasin d’antiquités

À une époque, on a même rajouté dans la graphie des lettres qui ne s’étaient jamais pronon­cées (com­me le d dans le mot poids), tout en conservant des lettres qui ne se prononçaient plus. Le système gra­phé­ma­tique du français peut être comparé à un magasin d’antiquités, qui con­tient beaucoup d’objets, très jolis et décoratifs, mais qui ne peuvent pas être utilisés dans la vie réelle. Beaucoup de francophones eux-mêmes ne savent pas comment utiliser ces anti­qui­tés.

Apprendre la transcription phonétique

Étant donné que la graphie du français ne permet pas toujours de savoir comment un mot est pro­non­cé, l’ap­pre­nant de français langue étrangère doit aussi apprendre les signes de la transcription phonétique, qui per­met­tent de découvrir la pro­non­cia­tion réelle cachée par l’orthographe. C’est un effort sup­plé­men­taire, qui est pratiquement inutile quand on apprend par exemple le finnois ou l’espagnol.

Heureusement, on rencontre aussi la transcription phonétique dans la vie courante, dans les dic­tion­naires, dans les manuels de langue à l’école, dans les guides touristiques ou de conver­sa­tion, sur des sites internet tels que Wikipedia, et parfois même dans des publi­cités dans les jour­naux ou au bord des routes. Ce n’est donc pas vraiment un système ré­ser­vé aux spécialistes, et la plupart des signes de l’alphabet pho­né­tique sont faciles à re­con­nai­tre et à mémoriser.

Résultat : une grande dépense d’énergie et de temps

Les défenseurs de l’orthographe française traditionnelle ne se rendent pas compte de la somme d’efforts sup­plé­men­tai­res que l’antiquité et l’inadéquation du système graphé­ma­ti­que en­trai­nent. Car pour ap­pren­dre à pro­non­cer le français, il faut d’abord, comme on s’y attend :

  1. des capacités auditives : savoir reconnaitre/différencier les phonèmes ;
  2. des capacités mimétiques ; savoir imiter et reproduire les phonèmes et la mélodie ;
  3. des capacités d’endurance [kestävyys] et de persévérance [sinnikkyys] : être capable de s’en­trai­ner suf­fi­sam­ment souvent et suffisamment longtemps ;
  4. des connaissances phonétiques : connaitre les caractéristiques des phonèmes du français ;

mais aussi…

  1. des connaissances phonologiques : connaitre la transcription phonétique ;
  2. des connaissances graphématiques : connaitre les innombrables règles et exceptions du système graphématique ;
  3. des capacités d’abstraction : savoir supprimer mentalement des lettres/syllabes écrites ou res­tituer [palaut­taa] mentalement des lettres/consonnes non pro­non­cées ;
  4. des connaissances grammaticales : savoir pourquoi une même lettre ou un même groupe de lettres se pro­non­cent parfois ou ne se pro­non­cent pas (dans la liaison, par exemple) ;
  5. de la motivation.
ISBN 978-951-39-7388-9 © Jean-Michel Kalmbach 2018-2022 | Version 1.0 | Mod. 8.2.2021