Guide de grammaire française
pour étudiants finnophones
Les langues naturelles ne cessent de recycler (kierrättää) les éléments du langage : les mots, leurs formes, leurs sens. Des mots changent de sens selon les époques, certains mots tombés dans l’oubli sont remis à la mode, d’autres disparaissent, ou traversent une frontière et reviennent dans la langue sous une forme ou avec un sens recyclés ; des mots changent de fonction grammaticale etc. C’est un processus naturel et tellement évident que, souvent, on n’y pense pas.
Le recyclage concerne le plus souvent le vocabulaire, mais il touche aussi la grammaire et les « outils » grammaticaux. Le mot que est un excellent exemple de mot qui a été « mis à toutes les sauces », puisqu’il peut servir à plusieurs usages :
1) conjonction de subordination : Je te dis que c’est faux.
2) pronom relatif : le livre que tu lis
3) pronom interrogatif : Que fais-tu ?
4) adverbe exclamatif : Que c’est beau !
5) adverbe interrogatif : Que ne l’avez-vous dit plus tôt !
6) adverbe restrictif (français parlé) : Tu as acheté quoi ? – Que du pain, rien d’autre.
Le fait que ces différents emplois soient issus de mots latins différents (quid, quem, quia) est inconnu de l’immense majorité des usagers francophones. Pour ceux-ci, le mot que a tout simplement plusieurs emplois et ni les grammaires ni les usagers de la langue n’y voient rien de surprenant. Ce caractère polyvalent n’est pas une simple curiosité grammaticale, puisqu’en finnois, ces emplois correspondent tous à des mots différents :
1) que conjonction de subordination : että
2) que pronom relatif : jonka/jota
3) que pronom interrogatif : mitä/minkä
4) que adverbe exclamatif : kuinka
5) que adverbe interrogatif : miksi
6) que adverbe restrictif (langue parlée) : vain, pelkästään
On peut faire le même genre de comparaison avec d’autres outils grammaticaux polyvalents :
comme :
kuin, kuten : C’est simple comme bonjour.
-na/nä, jnk ominaisuudessa : Je le connais comme collègue.
koska, kun : Comme tu es en retard, tu as manqué le début du film.
kuinka : Comme c’est beau !
si :
jos : S’il fait beau, on ira faire du vélo.
niin : On est allé faire une promenade, car il faisait si beau.
joskin, vaikka : Si ce n’est pas réellement exceptionnel, c’est pour le moins inhabituel.
kyllä (vaan) : Tu ne voudrais pas venir faire une balade ? – Si, mais il faut que je révise.
quelque :
jokin : Cherchons quelque endroit pour nous reposer.
niin : Quelque surprenant que cela paraisse, c’est tout à fait banal.
noin : Ce site regroupe quelque deux mille adresses de gites ruraux.
Voir également les différentes fonctions ou valeurs de pour. Les exemples ci-dessus montrent que pour l’apprenant de français langue étrangère, des mots banals dont la variation de sens semble anodine aux francophones correspondent à des catégories grammaticales différentes.
Le même phénomène existe évidemment aussi en finnois. Le mot aika peut signifier « le temps » ou l’adverbe « assez » (c’est pourtant le même mot à l’origine). Le mot vaikka peut signifier « bien que » ou « par exemple », kohta peut être un nom (« un point, un endroit ») ou un adverbe (« bientôt »), juuri un nom (« une racine ») ou un adverbe (« précisément ») bien que, dans les deux cas il s’agisse également d’un seul et même mot au départ.
Dans ces séries de mots français recyclés ayant des fonctions nettement différentes, il y en a une qui n’a pas été identifiée ou qui n’est pas présentée comme telle par les grammaires, et qui est utilisée régulièrement dans ce Guide :
1) de préposition : Je sors de la piscine.
2) de article indéfini : Il a une voiture / Il n’a pas de voiture.
3) de conjonction de subordination : Il est normal d’hésiter. / Il a décidé de partir.
Dans la tradition grammaticale et linguistique française, de n’a pas le statut net d’allomorphe de l’article indéfini, ni de conjonction de subordination équivalente à que. Divers ouvrages ou articles de linguistique ont pourtant formalisé ou au moins identifié ces valeurs comme telles, mais leurs analyses ne sont pas entrées dans la doxa grammaticale scolaire (ni dans celle des manuels de français langue étrangère) et on définit souvent ces emplois non prépositionnels en disant par exemple « à la place de l’article du, on utilise la forme de ».
Si pour désigner que on peut employer alternativement plusieurs dénominations (conjonction, pronom, adverbe), il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas faire de même avec le mot de.
Bien que ce Guide soit une grammaire contextualisée, on a repris une bonne part des termes de la nomenclature grammaticale française standard (notamment les termes modernisés de complément de verbe / complément de phrase) quand ils n’étaient pas plus mauvais que d’autres et avaient des correspondants immédiats ou proches dans la terminologie finnoise (qui a intégré de nombreux termes hérités de la tradition classique, comme verbi, pronomini, adjektiivi, pluskvamperfekti, pour n’en citer que quelques-uns). On en a abandonné certains, dont l’expérience montre qu’ils sont sans utilité du point de vue des apprenants finnophones de français langue étrangère (par exemple la notion d’épithète) ou proprement néfastes pour eux (partitif, qui évoque trop le partitiivi). Et on en a adopté de nouveaux quand cela
Exemple : pronom conjugateur au lieu de sujet apparent. Dans la phrase il est normal d’avoir des doutes, le mot il sert à indiquer la personne du verbe, autrement dit il sert de marque morphologique de conjugaison. Un tel marqueur est inexistant en espagnol, italien, roumain, russe, finnois, mais nécessaire dans les langues germaniques en général et en français également. Le sujet dit « réel » d’avoir des doutes peut donc être qualifié simplement de sujet (ou sujet postposé, quand il est nécessaire de le distinguer d’autres éléments), ce qui correspond exactement à la manière dont la structure équivalente se présente en finnois.
Remarque : cette terminologie est une terminologie ad hoc, conçue en partie pour les besoins de ce guide et d’apprenants finnophones. Elle n’a en aucun cas la prétention d’être une terminologie grammaticale définitive et universelle.
Liste de termes non (ou peu) utilisés et leurs correspondants dans ce guide :
Terme traditionnel | Terme utilisé dans ce Guide |
---|---|
article partitif | article indéfini massif |
complément d’objet (direct/indirect) | complément de verbe (direct/prépositionnel) |
CC (compl. circonstanciel) | CdP (complément de phrase) |
COD | CVD |
COI | CVP |
complément circonstanciel | complément de phrase |
pronom de 3e personne | pronom IL, pronom ÇA, pronom anaphorique |
partitif | expression partitive |
épithète | - (le cas échéant « adjectif du groupe nominal ») |
tonique (forme) | forme pleine |
atone (forme) | forme faible |
disjointe (forme) | forme pleine, forme focalisée |
conjointe (forme) | forme faible |
langue écrite | code écrit |
langue parlée | français parlé |
impersonnel (pronom) | pronom conjugateur |
sujet réel | sujet (postposé) |
sujet apparent | pronom conjugateur |
ISBN 978-951-39-8092-4 © Jyväskylän yliopisto 2020-2022
Page 2. Terminologie. Dernière mise à jour : 6.8.2022
Mises à jour après le 15.8.2022