Guide de grammaire française
pour étudiants finnophones

  Index alphabétique

Article et déterminants
Difficultés diverses

Les équivalents en finnois de l’article français

Manquer, manquer à, manquer de

Tu as de beaux yeux ?

Avoir le temps ou avoir du temps ?

Faire du piano et jouer du piano 

Parler français ou parler le français ?

Mes parents et des parents

Quel article devant Noël et Pâques ?

Les équi­va­lents en fin­nois de l’ar­ti­cle fran­çais

Le fin­nois dispose de dif­fé­rents dé­ter­mi­nants (dé­mons­tra­tifs, in­dé­fi­nis, in­ter­ro­ga­tifs etc.), mais pas de mots di­rec­tement équi­va­lents aux ar­ti­cles fran­çais un ou le. Cepen­dant, on peut trouver assez facilement des indices qui permettent de choisir la bonne for­me d’ar­ti­cle en fran­çais dans environ 70% des cas. Ces indices sont mentionnés et analysés dans les pages consacrées aux ar­ti­cles, et résumés ici.

Équivalents pos­si­bles de l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni

En fin­nois, dans la langue parlée, cer­tains mots sont parfois employés d’une façon qui évoque fortement l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni fran­çais et fournissent quel­ques « outils » permettant de choisir la bonne for­me d’ar­ti­cle. Dans le style écrit (kirjakieli), on les em­ploie seu­le­ment oc­ca­sion­nel­lement ou sous d’au­tres for­mes.

sellainen (sellane) (catégorisation) = un/une/des

Se oli sellane drone. C’était un drone. Ne oli sellasia kunnon sipuleita. C’était de vrais ognons. Se oli sellane mukava pikku puisto. C’était un petit parc sympa.

En finnois, on utilise aus­si sellainen avec cette valeur dans le code écrit, mais de façon net­te­ment moins sys­té­ma­ti­que.

joku (nature in­dé­fi­nie) = un/une/des

Nyt löysin jonkun vuokra-asunnon, mutta tästä ei ole kuvia lainkaan. J’ai enfin trouvé un appartement qui était à louer, mais il n’y avait pas une seule photo. Kerrankin mä löysin jonkun hyvän tarjouksen. Pour une fois j’ai trouvé une bonne promo.

En finnois, on utilise aus­si jokin/joku avec cette valeur, mais assez rarement.

joitain (nature in­dé­fi­nie et quantité in­dé­fi­nie) = des

Tarvetta ois vielä ostaa joitain juttuja kotiin. Il faudrait que j’achète en­co­re des trucs pour la maison.

En finnois, on utilise aus­si fré­quem­ment joitakin dans le code écrit avec ce même sens.

yksi (identité non précisée); au pluriel yksiä ou joitain = un/une/des

Joo, ootas hetki ku teen yhen jutun nopeasti. Attends, je fais un truc vite fait. Ostin yhden kirjan. J’ai acheté un livre. Alkukesästä ostin yksiä vieraita varten monta pakettia. Au début de l’été j’en ai acheté plu­sieurs paquets pour des invités. Netistä löysin joitain sivuja koodaamisesta. Sur internet, j’ai trouvé des pages sur le codage.

En finnois, dans le code écrit l’équi­va­lent de yksi est eräs (ou muuan dans le style soutenu).

Dans tous ces cas, si en fin­nois on peut utiliser sellainen / joku / joitain / yksi, en fran­çais il y a un ar­ti­cle in­dé­fi­ni.

Équivalents pos­si­bles de l’ar­ti­cle dé­fi­ni

Il exis­te plu­sieurs indices en fin­nois qui permettent de décider si on emploie un ar­ti­cle dé­fi­ni en fran­çais.

le déterminant se peut exprimer une référence spécifique, comme le/la/les :

Sinunhan piti tuoda tuoleja. No toitko ne tuolit? Tu devais apporter des chaises. alors ? Est-ce qe tu as apporté les chaises  Piti mennä sisälle hakemaan autotallin avaimen, ja sitten kun tulin autotallin, huomasin, että taas ei ollut sitä avainta, kun otin väärän avaimen. J’ai dû rentrer pour chercher la clé du garage et quand je suis retourné au garage, j’ai vu que je n’avais de nouveau pas la clé, parce que j’en avais pris une mauvaise.

Si en finnois un nom singulier ou pluriel de sens gé­né­ri­que (c’est-à-dire dé­si­gnant les éléments d’un groupe, ou un en­sem­ble) ne peut pas être pré­cé­dé de yksi/jokin/jotkut/joitain, il a comme équivalent en français un nom déterminé par un article défini. C’est très souvent le cas s’il est en fonction de sujet du verbe de la phrase (mais aussi dans d’autres positions) :

La ville est un environnement stressant. En Finlande, le mois d’avril [=tous les mois d’a­vril] est très sec. En France, à une époque les magasins étaient fermés le lun­di matin. Työntekijöiden ja työnantajien välinen kokous epäonnistui. La rencontre entre les ou­vri­ers et les patrons a été un échec.

Quand un nom massif est sujet du verbe, en français il ne peut pas être déterminé par un article indéfini massif. Il est alors habituellement précédé d’un article dé­fi­ni :

Kahvi edistää ruoansulatusta. Le café a un effet bénéfique sur la digestion. Sähkö on yhä kalliimpaa. L’électricité devient de plus en plus chère.

les noms finnois en -minen ou les au­tres noms déverbatifs, avec le suffixe -ointi, -lu/ly, -ismi etc. utilisés en fonction de sujet (ou de com­plé­ment d’un verbe à la for­me affirmative) cor­res­pondent pres­que toujours à un nom avec ar­ti­cle dé­fi­ni en fran­çais :

Keskittyminen on tärkeää. La concentration est importante. Pysäköinti aiheuttaa usein haittoja asutukselle. Le stationnement est sou­vent source de nuisances dans les zones résidentielles. Kävely kohentaa kuntoa. La marche est bonne pour la for­me. Turismi tuo sekä vaurautta että ongelmia. Le tourisme est source à la fois de ri­ches­se et de nuisances.

Quand les noms sont employés com­me com­plé­ment du verbe ou com­me com­plé­ment de phra­se, ces équivalences ne sont plus aus­si nettes. On peut ce­pen­dant tou­jours utiliser le test de se ou yksi/joku : si on peut utiliser se ou on ne peut pas utiliser yksi/jokin/jotkut/joitain devant le nom en fin­nois, il y a de fortes chances qu’on utilise un ar­ti­cle dé­fi­ni en fran­çais.

En revanche, le cas (sijamuoto) du com­plé­ment du verbe en fin­nois ne permet que rarement de décider si le nom est pré­cé­dé d’un ar­ti­cle dé­fi­ni ou in­dé­fi­ni en fran­çais. L’opposition monikon genetiivi-akkusatiivi / monikon par­ti­tii­vi correspond à l’opposition ar­ti­cle dé­fi­ni pluriel / ar­ti­cle in­dé­fi­ni pluriel uni­que­ment si les trois conditions sui­vantes sont réunies :

  1. 1) le com­plé­ment est direct (en fin­nois objekti),
  2. 2) le verbe est à la for­me affirmative,
  3. 3) le verbe a un sens perfectif.

Ces conditions représentent environ seu­le­ment 5% des cas pos­si­bles.

Manquer, manquer à, manquer de

Des constructions très variées

Le ver­be manquer peut avoir des sens et des constructions variés et les ver­bes équi­va­lents en fin­nois ont sou­vent une construc­tion tout à fait dif­fé­ren­te. En fran­çais, ces dif­fé­ren­ces se voient aus­si dans la for­me de l’ar­ti­cle utilisé devant le com­plé­ment du ver­be.

a.  Manquer intransitif (sans com­plé­ment) signifie epäonnistua. Il est synonyme d’échouer ou, dans le fran­çais parlé, de rater :

La tentative a manqué. Le coup a manqué.

b.  Il exis­te une deuxième for­me de manquer sans com­plé­ment, mais où le ver­be est en réalité un ver­be tran­si­tif employé absolument, au­trement dit c’est le ver­be manquer à, dont le com­plé­ment n’est pas ex­pri­mé. Dans ce cas cas, manquer (à) si­gni­fie olla poissa ou puuttua (dans ce sens, le su­jet est sou­vent post­po­sé et le ver­be est pré­cé­dé du pro­nom conjugateur il) :

Deux élèves manquent aujourd’hui. Cent euros manquent en­co­re pour com­plé­ter la somme. Il manque trois livres sur l’étagère. Dans cette liste, il manque les ver­bes irréguliers.

c.  Manquer qch transitif direct (se construisant avec un com­plé­ment de ver­be direct) signifie jäädä paitsi, jäädä pois, myöhästyä ou ampua ohi (synonyme fa­mi­li­er : rater) :

À cause de la grève des transports, de nom­breux étudiants ont manqué le cours. Le réveil n’a pas sonné, c’est pourquoi j’ai manqué le train de 8 h. L’élan était trop loin, je l’ai manqué. Hirvi oli liian kaukana, ammuin ohi. Tu as manqué une belle occasion de faire un beau voyage, c’est dommage !

d.  Manquer à qch : puuttua jstak. Sou­vent construit avec su­jet post­po­sé et ver­be pré­cé­dé du pro­nom conjugateur il :

Les deux premiers romans de l’auteur manquent en­co­re à ma collection. Il manque en­co­re une per­son­ne au grou­pe (ou : dans le grou­pe).

e.  Manquer à qqn : puuttua joltakulta, construit avec un pro­nom conjugateur il et in­ver­sion du su­jet :

Il manque seu­le­ment deux points à ce coureur pour devenir champion du monde.
Il lui manque en­co­re un examen.

f.  Manquer à qqn a éga­le­ment le sens par­ti­cu­lier de olla jonkun kaipuun kohde. Il peut donc se traduire par les ver­bes fin­nois kaivata ou ikävöidä, qui se construisent ce­pen­dant tout à fait dif­fé­rem­ment :

fran­çais : A manque à B.
Finnois  : B ikävöi A:ta.
Tu manques beau­coup à ta mère. Äitisi kaipaa kovasti sinua. Reviens vite, tu lui manques tellement ! Tule pian takaisin, hänellä on niin ikävä sinua. Mon pays natal me manque. Kaipaan kotimaatani.

g. Manquer de qch : olla vailla jotakin, olla jnk puutteessa. Ce ver­be peut donc traduire cou­ram­ment tarvita ou kai­vata, mais ceux-ci se construisent dif­fé­rem­ment (avec un com­plé­ment direct). Com­me le ver­be est for­mé avec la pré­po­si­tion de, l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni (pluriel et massif) est tou­jours effacé :

Je manque de temps. Il manque d’ambition. Cette soupe manque de sel. La commune manque de ressources. L’institut manque de per­son­nel. Nous manquons de temps et d’argent. Tu manques d’ambi­tion et d’idées.

Article dé­fi­ni et ar­ti­cle in­dé­fi­ni comptable sin­gu­lier interdits

De plus, dans le cas du ver­be manquer de qch (§ g. ci-dessus), il y a une limita­tion im­por­tan­te : on ne peut utiliser le ver­be manquer de dans le sens de «olla vailla jotakin, tarvita jotakin» qu’avec un nom comp­ta­ble pluriel ou massif in­tro­duit par un ar­ti­cle in­dé­fi­ni. On ne peut pas utiliser le ver­be manquer de avec un nom comptable sin­gu­lier in­dé­fi­ni ni avec un dé­ter­mi­nant dé­fi­ni. Ainsi, bien que cette phra­se se trouve dans un manuel finlandais de gram­mai­re fran­çaise, il est agram­ma­ti­cal de dire *nous manquons d’un employé (pour traduire meiltä puuttuu [yksi] työntekijä), ou bien (ex­em­ples d’er­reurs relevées dans des tra­vaux d’é­tu­diants) :

*Nous manquons en­co­re de l’argent. Meiltä puuttuu vielä rahaa.
*Nous manquons du premier manuel. Meiltä puuttuu ensimmäinen kirja.
*Ils manquent de cette subvention. Heiltä puuttuu se apuraha.
*Ces manuels manquent aus­si bien des précisions que des ex­pli­ca­tions né­ces­sai­res.

Si on veut ex­pri­mer l’idée de « olla vailla jotakin, tarvita jotakin» avec un nom comp­table sin­gu­lier in­dé­fi­ni ou avec un au­tre dé­ter­mi­nant, il faut utiliser les cons­truc­tions imper­son­nelles il faut à qqn / il manque à qqn + GN ou d’au­tres ver­bes :

Il nous manque un employé. / Il nous faut un employé.
Il nous manque en­co­re l’argent. / Il nous faut en­co­re l’argent.
Il nous manque le premier manuel. / Nous n’avons pas pu trouver le premier ma­nu­el.
Il leur manque cette subvention. / Il leur faut cette subvention.
Il manque dans ces manuels les ex­pli­ca­tions et les précisions né­ces­sai­res.

Tu as de beaux yeux ?

Un double pro­blè­me

Les fin­no­pho­nes ont sou­vent beau­coup de mal à com­pren­dre qu’on utilise un ar­ti­cle in­dé­fi­ni en parlant des par­ties du corps dans les constructions com­me avoir les cheveux blonds, avoir les yeux bleus etc. Le pro­blè­me didactique est double : 

En fin­nois, dans la construc­tion jollak on gn pluriel (qqn a gn), les par­ties du corps qui vont par paires (et cer­tains objets, com­me ciseaux, lunettes etc.) sont sou­vent au no­mi­natif pluriel :

Hänellä on kauniit silmät. Hänellä on pitkät sääret.

alors que dans ce ce gen­re de construction, dans le cas de noms pluriels ordinaires (qui ne for­ment pas des paires), le GN au par­ti­tii­vi pluriel :

Hänellä on hyviä ystäviä. Minulla on kauniita kukkia. etc.

Le premier pro­blè­me, c’est que l’ap­pre­nant débutant, aveuglé par la cor­res­pon­dance erronée mo­ni­kon no­mi­natiivi = määräinen artikkeli, pense qu’on utilise dans ce cas tou­jours l’ar­ticle dé­fi­ni ; les débutants traduisent quasi au­to­ma­ti­que­ment hä­nel­lä on pitkät sääret en utilisant un ar­ti­cle dé­fi­ni : elle a *les longues jambes. Or, en fran­çais, s’il n’y a pas de valeur réfé­ren­tiel­le par­ti­cu­liè­re, on utilise nor­ma­le­ment l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni, com­me dans les trois ex­em­ples sui­vants, où le fin­nois utilise un no­mi­natif pluriel en -t :

Tu as des yeux pour regarder, non ? Katso nyt kunnolla, sinullahan on silmät. Il a de beaux yeux. Hänellä on kauniit silmät [de = ar­ti­cle indéf. plur. devant ad­jec­tif an­té­po­sé] Elle a de longues jambes. Hänellä on pitkät sääret.

Ceci est déroutant pour les fin­no­pho­nes, pour qui un in­dé­fi­ni pluriel (ici monikon par­ti­tii­vi) paraitrait vraiment étrange : la traduc­tion littérale de tu as des yeux par sinulla on silmiä signifierait en quel­que sorte « tu as des yeux un peu partout sur le corps » (com­me tu as des boutons). Le pro­blè­me est dû au fait que le fran­çais ne con­nait pas et n’a au­cun moyen d’ex­pri­mer l’idée de glo­ba­lité par paire qu’ex­prime le no­mi­na­tii­vi pluriel dans sakset, silmät, housut. On peut dire in­dif­fé­rem­ment les ciseaux ou des ciseaux, les yeux ou des yeux.

Des constructions similaires trompeuses

Pour ajouter à la con­fu­sion, par un hasard extraordinaire, on trouve en fran­çais des cons­truc­tions si­mi­lai­res à celles du fin­nois telles que hänellä on siniset silmät avec un ar­ti­cle dé­fi­ni (il a les yeux bleus). Ces cons­tructions semblent in­di­quer une cor­respondance entre ar­ti­cle dé­fi­ni fran­çais et no­mi­natif pluriel fin­nois (les yeux bleussiniset silmät), et sem­blent con­fir­mer en quel­que sorte la règle mo­ni­kon no­mi­natiivi = määräinen artikkeli.

En réalité, il s’agit d’une construc­tion où l’ad­jec­tif est at­tri­but du com­plé­ment direct (objekti­predikatiivi), et dans ce cas, l’ad­jec­tif est placé après le nom, mais n’est pas un élé­ment du grou­pe nominal de ce nom :

Il a les yeux bleus. Elle a les cheveux bruns. Il a les jambes poilues.

De plus, une construc­tion com­me il a les yeux bleus ne s’utilise ha­bi­tu­el­le­ment qu’avec cer­tai­nes par­ties du corps et avec cer­tains ad­jec­tifs. On dit net­te­ment plus rarement elle a les jambes gros­ses ou tu as les yeux grands. Dans cer­tains cas, on peut utiliser l’ar­ti­cle dé­fi­ni, par ex­em­ple Elle a les longues jambes de sa mère ou Tu as les beaux yeux de ta fille etc., mais dans ce cas-là cet ar­ti­cle ren­voie à un possesseur dif­fé­rent et, surtout, l’ad­jec­tif fait par­tie du groupe nominal (nom+adjectif), et n’est pas l’at­tri­but du com­plé­ment direct.

Construction limitées

Com­me l’ar­ti­cle dé­fi­ni s’utilise du déterminant possessif devant les par­ties du corps, la ré­fé­ren­ce dénotée par l’ar­ti­cle dé­fi­ni est explicitée par d’au­tres indices ré­fé­rentiels (nom ou pro­nom su­jet) et le possessif devient alors inutile :

Après cette longue marche, j’ai mal aux pieds = les pieds du su­jet je.
Elle s’est cassé le fémur = le fémur du su­jet elle. Häneltä meni reisiluu poikki.

Ce mode de référence s’utilise de façon ca­rac­té­ris­ti­que dans les constructions avec le ver­be avoir suivi d’un com­plé­ment de ver­be direct et d’un attribut du com­plé­ment [avoir gn + ad­jec­tif] utilisées pour décrire quel­qu’un physiquement :

Aino a les yeux bleus et les cheveux blonds, mais son père a les cheveux bruns.

Cette construction avec attribut du com­plé­ment (objektipredikatiivi) s’interprète ainsi : il a les cheveux blonds si­gnifie mot à mot « hänellä on tukka vaaleana » (on le voit dans la construction disloquée : les cheveux, il les a blonds). Exactement com­me en fin­nois, dans cette construction l’ad­jec­tif se place tou­jours après le nom. On ne peut pas dire qu’il est « post­po­sé », car il ne s’agit pas d’un adjectif du groupe no­mi­nal. On n’emploie ce­pen­dant pas systématiquement l’ar­ti­cle dé­fi­ni pour ex­pri­mer la possession 

Emploi limité à cer­tai­nes par­ties du corps

En gé­né­ral, on utilise cette construction seu­le­ment avec cer­tai­nes par­ties du corps, pour ca­ra­cté­ri­ser les traits distinctifs ha­bi­tu­els de l’être humain. Il s’agit de traits objectifs fa­ci­le­ment cons­ta­tables, qui n’im­pli­quent pas réellement de jugement de valeur (yeux bleus-bruns, cheveux noirs-bruns-blonds etc.). L’uti­li­sa­tion de l’ar­ti­cle dé­fi­ni n’est ce­pen­dant pas obli­ga­toi­re quand on décrit une per­son­ne : on peut tou­jours utiliser l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni ; on insiste alors plus sur la valeur caractérisante de l’ad­jec­tif (éva­lua­tion sub­jec­tive) :

Il a les yeux bleus. Non, je dirais plutôt qu’il a des yeux gris.

Quand on modifie l’ad­jec­tif (par ex­em­ple avec très), l’ar­ti­cle indé­fi­ni est plus fré­quent. De tou­te fa­çon, l’ar­ti­cle dé­fi­ni ne peut pas s’utiliser avec tou­tes les par­ties du corps ni avec n’importe quel ad­jec­tif :

Elle avait des yeux très bleus et un petit nez.

En cas de doute, il vaut donc mieux utiliser l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni.

La construction avec attribut du com­plé­ment avoir + ar­ti­cle dé­fi­ni + cod + ad­jec­tif n’est pas utilisée seu­le­ment pour donner le « signalement » de quel­qu’un : on peut l’utiliser librement pour dé­cri­re un état mo­men­tané ou provisoire d’une par­tie du corps ou de quel­que chose. Le fin­nois uti­lise par ex­em­ple dans ce cas l’essif ou des constructions avec ad­jec­tif :

Tu as le dos tout gris de poussière. Il avait le nez tout rouge. L’alpiniste avait les traits tirés de fatigue. La voiture avait le côté tout cabossé.

Même si elle est limitée à cer­tai­nes par­ties du corps et à cer­tains ad­jec­tifs, la construc­tion avec at­tri­but du com­plé­ment peut s’utiliser assez facilement si on ajoute un ad­ver­be : elle a les jambes très grosses. L’ar­ticle dé­fi­ni est donc utilisé pour une raison tout à fait dif­fé­ren­te de celle pour laquelle on utilise un no­mi­natif pluriel en fin­nois. Cette cor­res­pon­dance est trompeuse et dangereuse. Il vaudrait donc mieux retenir com­me règle de base que pour ca­ra­cté­ri­ser les par­ties du corps, on utilise nor­ma­le­ment un ar­ti­cle in­dé­fi­ni et que l’ar­ti­cle dé­fi­ni est une ex­cep­­tion.

Avoir le temps ou avoir du temps ?

Analyse de la structure

La locu­tion avoir le temps est un bon ex­em­ple d’ex­pres­sion dans laquelle la for­me d’ar­ti­cle s’est plus ou moins « figée », et ce sous une for­me qui peut sembler il­lo­gi­que à l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re. Ainsi, les fin­no­pho­nes (entre au­tres) utilisent sou­vent à tort la for­me avoir du temps dans des con­tex­tes où on em­ploie en fran­çais avoir le temps. L’em­ploi de la for­me avec ar­ti­cle du est en soi parfaitement ra­tion­nel­le, puis­qu’elle est analogue à de nom­breuses constructions similaires, dans lesquelles l’ar­ti­cle massif cor­res­pond à un par­ti­tiivi en fin­nois :

Minulla on rahaa. J’ai de l’argent.
Hänellä oli onnea. Il a eu de la chance.

Il serait donc logique qu’on dise, sur le mê­me mo­dè­le :

Minulla on aikaa. J’ai du temps.

Pourtant et de façon surprenante, ce n’est pas le cas. Le plus sou­vent, quand on veut dire qu’on a « du temps » pour fai­re quel­que chose, dans l’ex­pres­sion avoir + temps, on utilise l’ar­ti­cle dé­fi­ni. En effet, l’ex­pres­sion est dé­ve­lop­pée par un com­plé­ment (infinitif) qui précise (« dé­fi­nit ») le temps dont il s’agit, exac­te­ment sur le mo­dè­le d’au­tres noms com­plé­tés par un infinitif. Com­pa­rer :

J’ai eu l’occasion de lui parler plu­sieurs fois.
Nous avons eu la chance de pouvoir visiter ce musée ha­bi­tu­el­le­ment fermé au public.
Vous aurez le temps de découvrir la ville lors de la visite guidée.

Les phra­ses fin­noises sui­vantes se traduisent donc :

(a) Olisiko teillä aikaa tarkistaa teksti ? Est-ce que vous auriez le temps de vérifier le texte ?
(b) Hänellä ei ole aikaa siihen. Il n’a pas le temps de le faire.
(c) Olisiko teillä aikaa ottaa minut vastaan?  Auriez-vous le temps de me recevoir ?
(d) Voisitteko lukea tekstin, jos teillä on aikaa? Pourriez-vous lire le texte, si vous avez le temps ?
(e) Minulla ei ole nyt aikaa. Je n’ai pas le temps maintenant.

Dans tous ces ex­em­ples, à un par­ti­tii­vi fin­nois cor­res­pond en fran­çais un ar­ti­cle dé­fi­ni, qui s’explique pour la raison mentionnée ci-dessus (le temps est com­plé­té par un infinitif). Cet ar­ti­cle dé­fi­ni s’em­ploie mê­me quand le ver­be qui dé­ve­lop­pe la locu­tion avoir le temps n’est pas ex­pri­mé (ex­em­ples d et e). En effet, l’ex­pres­sion avoir le temps est tou­jours im­pli­ci­te­ment suivie d’un ver­be sous-entendu : dans l’ex­em­ple (d), ce ver­be pourrait être de lire le texte, dans l’ex­em­ple (e) de vous recevoir, de t’aider, de regarder la télé etc., en fonc­tion du con­tex­te.

Solu­tion de l’énigme

Nor­ma­lement, si on n’ex­pri­me pas le com­plé­ment infinitif de l’ex­pres­sion avoir le temps, on peut le re­pren­dre par un pro­nom. Dans ce cas, on utilise le pro­nom en :

Relisez le texte en entier, si vous en avez le temps [= si vous avez le temps de le relire], et voyez quelles sont les modifications qu’il faut faire.
Nous aurions souhaité prendre connaissance de ce nouveau do­cu­ment, mais nous n’en avons pas eu le temps [= pas eu le temps de prendre connaissance du do­cu­ment].
Je terminerai ce rapport dès que j’en aurai le temps [= j’aurai le temps de terminer ce rapport].

Dans le code écrit, on ex­pri­me régulièrement ce pro­nom en, mais dans la langue cou­rante, on l’omet gé­né­ra­le­ment :

Passez chez nous ce soir, si vous avez le temps. [= si vous en avez le temps]
Jette un coup d’œil là-dessus, si tu as le temps. [= si tu en as le temps]
Je terminerai ce rapport dès que j’aurai le temps. [= dès que j’en aurai le temps]

C’est là que que se trouve la solu­tion de l’énigme (pour les fin­no­pho­nes, au moins) de l’em­ploi de l’ar­ticle dé­fi­ni ; l’ar­ticle dé­fi­ni le (avoir le temps) s’explique par la présence d’un com­plé­ment infinitif « ca­ché » :

Passez chez nous ce soir, si vous avez le temps [de passer].
Jette un coup d’œil là-dessus, si tu as le temps [d’y jeter un coup d’œil].
Je terminerai ce rapport dès que j’aurai le temps [de le faire/de m’y met­tre].

La for­me avoir du temps n’est pas du tout agram­ma­ti­cale, sim­ple­ment elle est net­te­ment moins usitée dans la pra­ti­que cou­rante pour ex­pri­mer l’idée de ehtiä, olla aikaa tehdä jotakin. On peut dire que la for­me « passepartout » est la for­me avoir le temps. Dans la langue fa­mi­liè­re, on peut mê­me utiliser cette construc­tion sans ren­voy­er spécifiquement ou im­pli­ci­tement à un ver­be, donc pour dire sim­ple­ment « avoir du temps pour faire qch » :

Tu aurais le temps, là ?Olisiko sinulla aikaa nyt? Désolé, je n’ai vraiment pas le temps.
Tu pourrais m’aider un peu ? J’ai pas le temps !
On peut se voir ce soir ? Pas le temps !

Dans ces constructions, il y a éga­le­ment un com­plé­ment implicite (je n’ai vraiment pas le temps de m’oc­cuper de toi / J’ai pas le temps de t’aider / Pas le temps de venir/de passer).

Avoir du temps

La for­me avec ar­ti­cle massif avoir du temps s’utilise pour in­di­quer une quan­ti­té de temps plus concrète et signifie le plus sou­vent « avoir du temps libre » (joutilasta aikaa, vapaa-aikaa), un espace de temps où on n’est pas occupé :

J’ai un peu de temps, on pourrait aller prendre un verre ?
Elle n’a pas beau­coup de temps en gé­né­ral, elle est tou­jours à courir à droite et à gauche.
Avoir du temps ? Ça s’apprend ! [titre de livre]

Donc, si on demande à quel­qu’un Est-ce que vous avez du temps ?, la ques­tion signifie en quel­que sorte « Est-ce que vous avez du temps libre ? ». Or, quand on demande en fin­nois Olisiko teillä aikaa?, on ne de­man­de pas si la per­son­ne a du temps libre en gé­né­ral (vapaa-aikaa), mais si elle peut trouver, dans son em­ploi du temps, un moment pour faire quel­que chose. En gé­né­ral, on pose justement cette ques­tion parce qu’on suppose que la per­son­ne n’a pas de temps libre. Si la per­son­ne répond j’ai le temps, c’est qu’elle peut trouver un espace de temps pour faire la chose qu’on demande. Si elle répondait j’ai du temps, cela signifierait (pres­que) « Minulla on ruhtinaallisesti aikaa », « minulla ei ole muuta kuin aikaa ».

Différences de construction

On peut noter éga­le­ment que chacune des deux constructions est suivie d’une pré­po­si­tion dif­fé­ren­te (les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re confondent sou­vent les deux) :

avoir le temps de faire quel­que chose
avoir du temps pour quel­que chose ou pour faire quel­que chose

On constate que seule la for­me avoir du temps (pour) peut être suivie d’un GN (voir ce­pen­dant §5 ci-dessous). La for­me avec ar­ti­cle massif avoir du temps in­di­que donc une quan­ti­té de temps. C’est pour­quoi on la trouve fré­quem­ment après des dé­ter­mi­nants de quan­ti­té, et dans diverses ex­pres­sions où on en­vi­sa­ge tou­jours une quan­ti­té de temps concrète :

avoir du temps à consacrer à quel­qu’un, avoir du temps devant soi, avoir du temps à tuer Tu as un peu de temps pour regarder cette histoire ? Demain, j’aurais peut-être un peu de temps pour vous. Il faudrait que j’aie plus de temps. Je n’ai pas de temps à perdre avec ces sottises. Il n’y a pas de temps à perdre, il faut im­mé­dia­te­ment aller à l’hôpital.

C’est ainsi qu’on peut opposer :

Est-ce que vous avez le temps de vous consacrer à vos enfants ? Ehdittekö olla las­ten­ne kanssa?
Est-ce que vous avez du temps à consacrer à vos enfants ? Onko teillä aikaa lap­sil­lenne?
Il ne prend pas de vacances, il n’a jamais le temps. Hän ei pidä lomaa. Hän ei ehdi tehdä sitä.
Il ne prend pas de vacances, il n’a jamais de temps pour ça. Hän ei pidä lomaa, hä­nel­lä ei ole aikaa sellaiseen.

On peut ainsi envisager plu­sieurs ré­pon­ses à une mê­me ques­tion :

Est-ce que vous avez le temps d’aller au cinéma pen­dant la semaine ?
– Non, je n’ai pas le temps. [sous-entendu : d’y aller]
– Non, je n’en ai pas le temps. [mê­me ré­pon­se, mais d’y aller pro­no­mi­nalisé sous la for­me en]
– Je n’ai pas de temps pour ça. / Je n’ai plus de temps pour ça.

Les deux constructions se confondent parfois

Com­me on le voit, la dif­fé­ren­ce n’est pas tou­jours facile à apprécier. De plus, dans l’usage de la langue cou­rante (com­me pour compliquer les choses du point de vue de l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re) les lo­cu­teurs mêlent parfois les deux constructions, puis­qu’elles ont, mal­gré tout, un sens assez proche. Malgré ce qui vient d’être expliqué, il ne faut donc pas s’étonner de trouver les for­mes sui­vantes :

Je n’ai pas le temps pour des passe-temps !
[On attendrait plutôt : pas de temps pour]

Je n’ai pas le temps pour ces choses-là, répondit un jeune homme pressé de s’as­su­rer une bonne place dans le stade.
[On attendrait plutôt : pas de temps pour, mais je n’ai pas le temps signifie « je suis trop pressé ». La phra­se s’analyse donc com­me une construc­tion analogue à Je suis trop pressé pour ces choses-là.]

Après je mets les mains dans le cambouis pour adapter le script, mais là j’ai pas le temps pour dé­ve­lop­per de A à Z un script. [mê­me remar­que]

À retenir

La règle à retenir pour les fin­no­pho­nes est qu’on demande gé­né­ra­le­ment à quel­qu’un Est-ce que tu as/vous avez le temps ? et non pas du temps, mê­me si en fin­nois on veut dire olla aikaa. De mê­me, en ré­pon­se, on dira le plus sou­vent je n’ai pas le temps.

Faire du piano et jouer du piano 

Jouer ver­be transitif pré­po­si­tion­nel

Il y a une ressemblance trompeuse entre les constructions faire du violon/ du piano/ de la flute etc. et jouer du violon/ du piano/ de la flute. Malgré les apparences, les deux ex­pres­sions ne reposent pas sur la mê­me construction. Dans le cas de jouer du violon, les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re et pro­ba­ble­ment une grande par­tie des fran­co­pho­nes eux-mê­mes comprennent du com­me un ar­ti­cle massif, par analogie avec les constructions com­me faire du tennis, faire du foot, faire du piano, faire de la guitare etc.

Pourtant, quand le com­plé­ment du ver­be jouer dé­si­gne un instrument de musique (jouer signifiant dans ce cas « savoir utiliser », « pra­ti­quer » tel ou tel instrument), le ver­be se cons­truit avec la pré­po­si­tion de. On dit jouer d’un instrument, qu’on peut traduire en fin­nois soittaa jotain soitinta ou tout sim­ple­ment harrastaa musiikkia :

Est-ce que tu joues d’un instrument ?
De quel instrument savez-vous jouer ?

La construc­tion jouer du violon/du piano/de la flute etc. s’interprète donc com­me jouer de + ar­ti­cle dé­fi­ni + nom (l’ar­ti­cle dé­fi­ni est employé ici avec une valeur gé­né­ri­que). Autrement dit, dans jouer du vio­lon, le grou­pe du violon est un grou­pe pré­po­si­tionnel, qui est le com­plé­ment de ver­be pré­po­si­tion­nel du ver­be jouer. Le mot du est donc une for­me contracte de+le et non pas un ar­ti­cle in­dé­fi­ni massif :

jouer de + un instrument → jouer d’un instrument
jouer de + la trompette → jouer de la trompette
jouer de + le violon → jouer du violon
jouer de + le piano → jouer du piano

La preuve que de fait bien par­tie de la structure ver­bale est qu’on l’utilise aus­si devant d’au­tres dé­ter­mi­nants, et la suite avec ar­ti­cle dé­fi­ni s’intègre parfaitement dans cette série :

Il joue d’un instrument rare, le cimbalum. Elle jouait de cette guitare avec une grande virtuosité. Raymond Devos savait jouer de plus de dix instruments. Pour ne pas déranger les voisins, Clément avait acheté un piano électrique, dont il joue finalement assez peu.

Faire ver­be transitif direct

Le ver­be faire suivi du nom d’un instrument in­tro­duit par un ar­ti­cle massif a le mê­me sens que jouer de et s’utilise plus fré­quem­ment dans la langue cou­rante que jouer de :

faire du violon = jouer du violon
faire de la clarinette = jouer de la clarinette
faire du basson = jouer du basson

Com­me le ver­be faire du signifier « pra­ti­quer régulièrement », on ne l’utilise gé­né­ra­le­ment pas pour les instruments dont on joue seu­le­ment oc­ca­sion­nellement. C’est ainsi qu’on dira jouer du triangle plutôt que faire du triangle, ou jouer du célesta plutôt que faire du célesta. De mê­me, on ne peut pas rendre l’idée de « savoir jouer d’un instrument » en disant faire un instrument (*Est-ce que tu fais un ins­tru­ment ? dans le sens de « Est-ce que tu joues d’un instrument ? »). Faire un instrument n’est pas en soi gram­ma­ti­cal, mais signifierait « fabriquer un instrument ». Quand le com­plé­ment direct est le mot instrument, on peut utiliser uni­que­ment le ver­be jouer de.

La dif­fé­ren­ce essentielle avec jouer de est que le ver­be faire se construit avec un com­plé­ment di­rect. Dans faire du piano, le GN du piano est le com­plé­ment de ver­be direct du ver­be faire, et le mot du est l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni massif. Com­parer les constructions aux ex­em­ples ci-des­sus :

faire + du piano → faire du piano
faire + de la trompette → faire de la trompette

À la for­me né­ga­ti­ve

La dif­fé­ren­ce entre les deux constructions devient apparente quand le ver­be est à la for­me né­ga­ti­ve. Dans le cas du ver­be faire, l’ar­ti­cle in­dé­fi­ni massif passe à la for­me de. En revanche, com­me le ver­be jouer de a un com­plé­ment pré­po­si­tion­nel, il n’y a au­cu­ne modifica­tion à la for­me né­ga­ti­ve. On dit donc je ne sais plus jouer de la flute (en osaa enää soittaa huilua) et non pas je ne sais plus jouer *de flute, puis­que le nom flute n’est pas un com­plé­ment de ver­be direct. Com­pa­rer éga­le­ment :

Je ne fais plus de violon. Mais :
Je ne joue plus du violon.
Il ne fait plus de piano. Mais :
Il ne joue plus du piano.
Elle n’avait plus fait de trompette depuis longtemps. Mais :
Elle n’avait plus joué de la trompette depuis longtemps.

Flottement dans l’interpréta­tion de la construction

Du fait des fortes similitudes évoquées ci-dessus entre les constructions telles que jouer du piano et faire du piano, il règne un flottement (notable) à ce su­jet chez les fran­co­pho­nes eux-mê­mes. On trouve par ex­em­ple sur Internet de nom­breuses oc­cur­ren­ces avec de né­ga­tif après jouer :

Je ne joue plus de piano depuis des années et je regrette de n’avoir jamais rien mé­mo­ri­sé de ma­niè­re durable. Pépé ne jouait plus de violon, son arthrose dé­sor­mais lui interdisait tout effort.

Il est probable que la plupart des utilisateurs interprètent les deux formes com­me une seule et même construction (verbe avec CVD), ce qui est en­co­re renforcé par le fait qu’on peut dire jouer un rôle, jouer Hamlet, jouer une carte etc. L’analogie s’étend aus­si cou­ram­ment à jouer à qch, puis­qu’on trouve sur internet des phra­ses com­me je joue du tennis, je joue du foot (alors qu’en principe on devrait dire soit je joue au foot, soit je fais du foot). La construc­tion de jouer de avec un com­plé­ment dé­si­gnant un in­stru­ment de musique tend donc à évoluer, au moins dans l’usage cou­rant et a ten­dan­ce à s’aligner sur celle de faire du/de la, et dans ce cas la néga­tion trans­for­me l’ar­ti­cle en de.

Dans le code écrit strict, tou­tefois, la construc­tion de jouer dans ce sens reste in­chan­gée : le ver­be se construit avec un com­plé­ment pré­po­si­tion­nel (pré­po­si­tion de) quand on parle d’un instrument (je joue du basson, elle joue de la flute etc., for­me né­ga­ti­ve tu ne joues plus du clavecin), et c’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai devant les au­tres dé­ter­mi­nants que l’ar­ti­cle.

Jouer ver­be transitif direct

Quand le com­plé­ment du ver­be jouer dé­si­gne de la musique et non plus un in­stru­ment, le ver­be a un com­plé­ment de ver­be di­rect :

jour des notes, jouer des gammes, jouer des accords
jouer du Bartók, jouer une symphonie, jouer une sonate

Dans ce sens-là, on ne peut pas non plus utiliser le ver­be faire. Faire une sonate serait gram­ma­ti­cal, mais signifierait « composer une sonate ».

Le résumé sui­vant présente dif­fé­rents ex­em­ples qui expliquent pourquoi les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re (et les fran­co­pho­nes) peu­vent fa­ci­le­ment con­fon­dre les dif­fé­ren­tes constructions :

faire du piano (du = ar­ti­cle in­dé­fi­ni massif)
jouer du piano (du = for­me contracte de+le)
jouer du Ravel (du = ar­ti­cle in­dé­fi­ni massif)

Parler fran­çais ou parler le fran­çais ?

Deux tournures pres­que parfaitement synonymes

Les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re (de tou­tes origines linguistiques) sont sou­vent embarrassés quand il s’agit d’utiliser l’ex­pres­sion parler + nom de langue, étant donné qu’en fran­çais on peut dire indif­fé­rem­ment parler anglais ou parler l’an­glais. Les deux ex­pres­sions sont-elles parfaitement synonymes ? Et si non, quelle est la dif­fé­ren­ce entre la version avec ar­ti­cle et celle sans ar­ti­cle ?

En principe, les deux ex­pres­sions ne sont pas entièrement équi­va­lentes :

On pourrait ainsi imaginer quel­qu’un qui s’amuse à parler fran­çais (en imitant le fran­çais) sans savoir parler le fran­çais (sans avoir étudié ou appris cette langue). Inversement, quel­qu’un pourrait dire :

Je sais parler le fran­çais, mais je préfère parler anglais avec vous.
Osaan kyllä ranskaa, mutta puhun mieluummin englantia teidän kanssanne.
On ne dirait pas  :
Je sais parler le fran­çais, mais je préfère *parler l’anglais avec vous.
Osaan kyllä ranskaa, mutta *osaan mieluummin englantia teidän kanssanne.

Similitudes fin­nois-fran­çais

Toutefois, en fin­nois, puhua ranskaa a les deux sens (puhua et osata), et la traduc­tion fin­noise n’aide donc pas tou­jours à savoir laquelle des deux for­mes utiliser :

Puhutko (= Osaatko) sinä ranskaa ? Est-ce que tu parles le fran­çais ?
He puhuvat keskenään ranskaa. Ils parlent fran­çais entre eux.

Deuxième pro­blè­me : en fran­çais, dans la langue cou­rante, parler fran­çais (sans ar­ti­cle) a éga­le­ment les deux sens :

(a) Est-ce que tu parles fran­çais ? Puhutko (= Osaatko) sinä ranskaa?
(b) Ils parlent fran­çais entre eux. He puhuvat keskenään ranskaa.

Nor­ma­lement, si on voulait être très exact, on aurait dû dire dans l’ex­em­ple (a) : Est-ce que tu parles le fran­çais ? Mais dans la langue cou­rante, il est tout à fait admis et normal de dire de cette façon, sans l’ar­ti­cle. Donc, selon les cas, la construc­tion parler + ar­ti­cle ø + langue peut cor­res­pondre à puhua jtak kieltä ou à osata jtak kieltä.

Limitation

On peut donc utiliser la construc­tion avec ar­ti­cle zéro (parler espagnol, parler fin­nois etc.) pour dire à la fois puhua espanjaa, puhua suomea et osata espanjaa, osata suomea. En revanche, on ne peut pas utiliser la construc­tion avec ar­ti­cle dé­fi­ni parler le + langue dans les deux cas. Cette construc­tion s’utilise seu­le­ment quand on veut in­di­quer que quel­qu’un sait parler ou non une langue (fin­nois osata) et ne peut pas s’utiliser pour décrire la « produc­tion de paroles » dans une langue. Si on entend deux étrangers parler et qu’on demande à quel­qu’un quelle langue ils parlent, il faudra répondre avec la for­me sans ar­ti­cle :

Quelle langue parlent ces gens ? C’est du russe ? Mitä kieltä nuo ihmiset puhuvat? Onko se venäjää? – Non, ils parlent lituanien. Ei, vaan he puhuvat liettuaa.

et non pas Ils parlent le lituanien, qui serait une ré­pon­se illogique, tout com­me il serait illogique de dire en fin­nois : Mitä kieltä nuo ihmiset puhuvat? – He osaavat venäjää.

On peut donc dire que la for­me parler fran­çais avec ar­ti­cle zéro peut s’em­ploy­er dans tous les cas (et il vaut donc mieux em­ploy­er celle-là en cas de doute), tandis que la for­me parler le fran­çais est d’un em­ploi plus limité.

Choix pos­si­ble uni­que­ment avec le ver­be parler

Dernier point très im­por­tant à noter : la possibilité d’utiliser le nom dé­si­gnant la langue (fran­çais, fin­nois, suédois etc.) sans ar­ti­cle ne concerne que le com­plé­ment du ver­be parler ! Avec d’au­tres ver­bes, il n’y a pas de pos­si­bi­lité de choix, l’ar­ti­cle est obli­ga­toi­re. On peut donc dire :

Elle parle le fran­çais ou Elle parle fran­çais.
Elle parle l’allemand ou Elle parle allemand.

mais on ne peut pas dire (er­reurs fré­quem­ment constatées chez les fin­no­pho­nes) :

**Elle veut étudier espagnol. uni­que­ment : Elle veut étudier l’espagnol.
**J’ai appris fran­çais à l’école. uni­que­ment :J’ai appris le fran­çais à l’école.
**Il ne comprend pas allemand.uni­que­ment : Il ne comprend pas l’allemand.
**Elle enseigne italien depuis dix ans. uni­que­ment : Elle enseigne l’italien depuis dix ans.

Mes parents et des parents

En fran­çais, le mot parent dé­si­gne à la fois l’un des deux parents qu’a tout être humain, le père ou la mère, en fin­nois vanhempi, et au sens plus large, une per­son­ne quelconque de la parenté (oncle, tante, cousin etc.), en fin­nois sukulainen. En fran­çais, on utilise donc un seul et mê­me mot là où d’au­tres langues (fin­nois, italien, espagnol, anglais etc.) en utilisent deux dif­fé­rents.

Ce qui est éga­le­ment embarrassant pour les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re, c’est qu’au pluriel, le grou­pe no­mi­nal avec ar­ticle dé­fi­ni les parents dé­si­gne tou­jours les père et mère d’une per­son­ne, puis­qu’il s’agit de parents « dé­fi­nis » im­pli­ci­te­ment. Le sens à donner au mot parent dépend le plus sou­vent du dé­ter­mi­nant uti­li­sé.

Parents avec un dé­ter­mi­nant dé­fi­ni dé­si­gne gé­né­ra­le­ment le père et la mère, en fin­nois vanhemmat :

Il s’entend bien avec ses parents. Hän tulee hyvin toimeen vanhempiensa kanssa. J’ai rencontré les parents de Clémentine. Tapasin Clémentinen vanhemmat.

Parents avec un dé­ter­mi­nant in­dé­fi­ni dé­si­gne les gens de la parenté, en fin­nois sukulaiset. Si on veut mar­quer le possesseur, il faut utiliser la cons­truc­­tion àpro­nom per­son­nel :

Au mariage, on n’avait invité que des parents. Häihin kutsuttiin vain sukulaisia.
Nous sommes en vacances chez des parents à nous. Olemme lomalla sukulaistemme luona.

Cepen­dant, cette équivalence n’est pas automatique : mê­me avec un dé­ter­mi­nant in­dé­fi­ni, le mot pa­rent peut dé­si­gner des parents dans le sens de père ou mère :

un parent isolé yksinhuoltaja À la réunion, le professeur a rencontré des parents in­quiets de l’avenir de l’école. Un proviseur-adjoint agressé par un parent [titre de journal]

Il faut donc, com­me tou­jours dans le cas de l’ar­ti­cle, interpréter le sens du GN en fonc­tion du con­tex­te. Cepen­dant, les fin­no­pho­nes peu­vent retenir la règle sui­vante (tout en sachant qu’elle ne couvre pas tous les cas d’em­ploi) :

He ovat vanhempani. = Ce sont mes parents.
He ovat sukulaisiani. = Ce sont des parents à moi/Ce sont des gens de ma famille.

Il faut donc éviter de présenter par ex­em­ple des cousins en disant « Ce sont mes parents ».

✋ Ne pas tra­dui­re non plus le mot sukulaiset par le faux-ami inspiré de l’an­glais re­la­ti­ves : en fran­çais, les re­la­ti­ves signifie « les pro­po­si­tions re­la­ti­ves », fin­nois re­la­tii­vi­lau­seet.

Quel ar­ti­cle devant Noël et Pâques ?

Noël et Pâques sont deux fêtes et surtout deux repères sai­son­niers et mé­té­o­ro­lo­giques très importants dans le ca­len­dri­er fin­lan­dais. Le nom de ces fêtes est donc utilisé ou mentionné fré­quem­ment et tout au long de l’année. L’utilisation de l’ar­ti­cle (et des pré­po­si­tions) devant ces deux noms pose sou­vent des pro­blè­mes aux ap­pre­nants de fran­çais.

Noël

Noël s’em­ploie nor­ma­le­ment sans ar­ti­cle s’il n’est pas dé­ter­mi­né d’une façon quel­con­que (par déterminant, un adjectif, un com­plé­ment etc.) :

Il vient à Noël. Noël a été très tranquille. [ar­ti­cle zéro, Noël sans com­plé­ment] Où est-ce que vous allez passer Noël cette année ? Nous partons en Laponie pour Noël.

Il ne faut pas utiliser d’ar­ti­cle dans ce cas ! Les tournures *Je vais passer le Noël chez moi ou Je pars chez mes parents *pour le Noël sont des er­reurs fré­quem­ment constatées chez les fin­no­pho­nes. Mais le mot Noël peut s’utiliser facilement avec un ar­ti­cle quand il est com­plé­té par un ad­jec­tif ou dé­fi­ni par un dé­ter­mi­nant par­ti­cu­lier :

Je vous souhaite un joyeux Noël. [ar­ti­cle in­dé­fi­ni, caractérisation] Nous avons passé un Noël très sympathique chez des amis. [ar­ti­cle in­dé­fi­ni, caractérisation] Nous avons absolument besoin de votre aide pour trans­for­mer le Noël de ces enfants défavorisés en un jour heureux et magique. [ar­ti­cle dé­fi­ni, Noël dé­fi­ni par le GN de ces enfants]

Pâques

Le mot Pâques était au­trefois pré­cé­dé d’un ar­ti­cle. On dit en­co­re aujourd’hui fré­quem­ment Je vous souhaite de joyeuses Pâques, avec ar­ti­cle in­dé­fi­ni. Mais quand on l’em­ploie seul (sans ad­jec­tif, par exemple après Pâques), en fran­çais moderne on n’u­ti­li­se plus d’ar­ti­cle.

Le pro­blè­me est que, d’un côté, Pâques a la for­me et le comportement d’un nom pro­pre com­me Noël, sans gen­re ni nombre apparent et utilisé sans ar­ti­cle. On dit ainsi à Pâques, exac­te­ment com­me à Noël, et le mot Pâques est sans genre : Pâques a été très froid. De l’au­tre cô­té, l’ex­pres­sion Joyeuses Pâques utilisée sur les cartes de vœux donne con­scien­ce aux usagers que le mot a (ou avait) un gen­re et un nombre. Ce fé­mi­nin pluriel ne se voit que dans l’ex­pres­sion Joyeuses Pâques qui est devenue qua­si­ment figée : en effet on n’utilise jamais d’au­tre ad­jec­tif. *Bonnes Pâques !, for­mu­le typique utilisée par les fin­no­pho­nes sur le mo­dè­le de Hyvää pää­siäis­tä, ne s’em­ploie pas en fran­çais.

Le mot Pâques semble donc se comporter com­me Noël mais, mal­gré cela, en mê­me temps ne pas pouvoir être utilisé avec un ar­ti­cle ou un ad­jec­tif quel­con­que, con­trai­re­ment à Noël. Face à cette contradiction, les usagers sont embarrassés. C’est pour­quoi, quand il faut utiliser un ar­ti­cle ou un ad­jec­tif, on utilise ha­bi­tu­el­le­ment la cir­con­lo­cu­­tion la fête de Pâ­ques / le weekend de Pâques, le weekend pascal. Com­pa­rer avec les ex­em­ples sur Noël :

Il vient à Pâques. [ar­ti­cle zéro dans la construc­tion pré­po­si­tionnelle] Pâques a été très froid. [ar­ti­cle zéro, Pâques sans com­plé­ment] ou : Le weekend de Pâques a été très froid. Je vous souhaite une joyeuse fête de Pâques / de joyeuses Pâques. Nous avons passé une fête de Pâques très sympathique chez des amis. [ar­ti­cle in­dé­fi­ni, caractérisa­tion]

Il y a des cas où on utilise des dé­ter­mi­nants dé­fi­nis (faire ses Pâques, ex­pres­sion devenue démodée), mais dans le doute, si on veut utiliser un ar­ti­cle ou un ad­jec­tif, il vaut mieux utiliser la for­me la fê­te de Pâques / une fê­te de Pâques.

Remar­que  : tout ceci ne concerne pas la Pâque juive (no­tam­ment dans les citations bibliques) ni orthodoxe, qui est un nom fé­mi­nin sin­gu­lier et qui s’utilise com­me un nom de fête normal : à la Pâque juive, avant la Pâque or­tho­doxe etc.

ISBN 978-951-39-8092-4 © Jyväskylän yliopisto 2020-2022
Page 25. L’ar­ti­cle – difficultés. Dernière mise à jour : 1.8.2022
Mises à jour après le 15.8.2022