Guide de pro­non­cia­tion française pour apprenants finnophones
21. E non pro­non­cé, dit « e muet »

Comme la liaison, la pro­non­cia­tion de e dit « muet » est à la fois un phénomène phonétique et, du point de vue de l’apprenant de FLE, un problème graphématique, parce que dans la forme écrite du français, on ne signale généralement pas quand un e ne se pro­non­ce pas. Cependant, connaitre le fonctionnement de e muet est utile surtout pour la compréhension de la langue parlée. Pour une bonne pro­non­cia­tion (l’objectif de ce guide), il suffit de connaitre quelques règles.

Définition

Comme dans le cas des consonnes finales qui ne se pro­non­cent plus, au cours de l’évolution du français un grand nombre de e ont progressivement cessé de se pro­non­cer. Mais on continue de les écrire, parce qu’une partie de ces e n’ont pas disparu définitivement, et ils peuvent être pro­non­cés (un peu comme les consonnes non pro­non­cées qui sont pro­non­cées dans la liaison). Certains e écrits peuvent être supprimés, certains sont toujours pro­non­césm et d’autres sont toujours sup­pri­més.

Ces e écrits qui peuvent se pro­non­cer ou non correspondent à la lettre e sans accent (´ ` ^) quand elle est suivie d’une seule consonne ou se trouve à la fin d’un mot, comme dans porte, petite, chez le dentiste. Quand e est suivi de deux ou plusieurs consonnes, il transcrit généralement /ᴇ/.

Ces e sont traditionnellement appelés « e muet », c’est-à-dire e non prononcé [ääntymätön]. Ce terme peut être trompeur, car il peut laisser penser que ces e sont toujours muets, c’est-à-dire non pro­non­cés. Quand e est pro­non­cé, il n’est évidemment pas muet. Pour cette raison, on utilise dans ce Guide le terme de « e non pro­non­cé » (e désigne la lettre e non réalisée dans la pro­non­cia­tion).

Pro­non­cia­tion

La lettre e sans accent et suivie d’une seule consonne transcrit le phonème /ɶ/, c’est-à-dire la même voyelle labialisée qu’on trouve dans feu, bleu. Il n’y a aucune différence de pro­non­cia­tion entre je et jeu, ni de et deux.

Comme celle des voyelles ᴇ/ᴏ/ɶ en général, la pro­non­cia­tion de /ɶ/ peut varier entre /œ/ et /ø/. Mais ces variations ne jouent aucun rôle du point de vue de la com­pré­hen­sion. De plus, la lettre e est rarement pro­non­cée en finale d’un bloc phonique, il n’y a donc pas besoin de surveiller par­ti­cu­liè­rement la labialisation de /ɶ/. Pour ces raisons, la pro­non­cia­tion exacte de ce phonème ne nécessite aucun effort de la part des finnophones : il suffit de pro­non­cer comme le ö du finnois.

Le signe traditionnel qu’on trouve dans les dictionnaires /ə/ n’est pas un phonème du français.

Le phonème représenté par la lettre e est traditionnellement transcrit /ə/ dans les manuels scolaires de français et dans les dictionnaires. Ce signe transcrit une voyelle qui correspond à la pro­non­cia­tion de l’article a ou du a de about en anglais, qu’on appelle parfois en français « e médian ». Ce n’est pas un phonème du français. Les dictionnaires continuent de transcrire /ə/ par habitude ou conservatisme. Il est produit parfois par les apprenants finnophones, et le signe /ə/ est utilisé dans ce Guide pour la description de certaines erreurs de pro­non­cia­tion.

Fonctionnement

La suppression des e dépend du niveau de langue et de la situation de communication :

Dans la langue parlée, on supprime le plus de e possible : Je trouve que ce livre est pas mal ʃtʁufkslivʁᴇpamal. On ne pro­non­ce l’e que quand sa suppression rend le mot imprononçable : mercredi, sans /ɶ/= mɛʁkʁdi, la séquence ʁkʁd est difficilement prononçable.

Il est difficile de donner des règles précises concernant la chute ou le maintien de e dans la langue parlée : cela dépend du locuteur, du moment, de la situation, de la vitesse de parole, du type de discours (officiel, académique, familier etc.). Pour l’apprenant FLE, on peut donner une règle simple : il vaut mieux pro­non­cer tous les e (sauf ceux dont la pro­non­cia­tion est interdite, voir ci-dessous). On peut parfaitement pro­non­cer

Il est debout devant la petite fenêtre. ilᴇdɶbudɶvɑ̃lapɶtitfɶnɛtʁ

même si un francophone peut pro­non­cer ilᴇdbudvɑ̃laptitfnɛt. C’est plus facile à pro­non­cer, et cela parait beaucoup moins bizarre que si on supprime des e que personne ne supprime. L’utilisation de /ɶ/ (prononcé/non prononcé) dans la langue parlée est décrite en détails p.22. Elle est utile à connaitre pour la compréhension du français. Pour une bonne pro­non­cia­tion, il suffit de con­nai­tre les cas où e ne se pro­non­ce pas, et ceux où on le pro­non­ce toujours.

Habitudes personnelles

Quand deux monosyllabes terminés par e se suivent, en général on pro­non­ce l’un des deux e, selon le modèle indiqué ci-dessous. Mais chaque locuteur a ses habitudes personnelles, et même les groupes pro­non­cés ha­bi­tuel­le­ment d’une seule manière peuvent être pro­non­cés d’une fa­çon dif­férente par certaines per­son­nes (le modèle le plus fréquent est indiqué en premier) :

ce que (ce que tu veux) : pro­non­cé habituellement skɶ (sɶk possible)
je me (je me prépare) : ʒɶm ou ʒmɶ
je le (je le veux) : ʒɶl ou ʒlɶ
je te (je te vois) : ʒɶt ou ʃtɶ
de ne (de ne pas le faire): pro­non­cé habituellement dɶn (dnɶ possible)
de le (de le dire) : dɶl ou dlɶ
de me (de me parler) : dɶm ou dmɶ
de te (de te presser) : pro­non­cé habituellement dɶt (tːɶ possible).

Il en va de même par exemple avec le pronom le devant un verbe dont la première syllabe contient un e :

je le ferai ʒɶlfʁe ou ʒlɶfʁe
on le fera õlfʁa ou õlfɶʁa ou õlɶfʁa

Pro­non­cia­tion de e interdite

Dans les cas suivants, on ne pro­non­ce pas le e écrit :

  1. à la fin d’un mot : grande, longue, table, sauf quand il s’agit du pronom le : prends-le, dis-le ; en particulier, on ne pro­non­ce jamais e final devant une autre voyelle (erreur fréquente à éviter) : votre ami vɔtʁami , une table en bois yntablɑ̃bwa casque-audio-avec-micro 5.7 ;
  2. à l’intérieur d’un mot, on ne pro­non­ce pas l’e à partir de la deuxième syllabe du mot : acheter aʃte, dan­gereux dɑ̃ʒʁø, complètement, renouvèlement casque-audio-avec-micro 13.1 ; à cause de e non pro­non­cé et de l’assimlilation de sonorité, la pro­non­cia­tion de certains mots change complètement par rapport à la graphie : projeter se pro­non­ce pʁoʃte, comme le groupe che dans acheter ;
  3. pour les mêmes raisons, on ne pro­non­ce pratiquement jamais l’e du radical des verbes en -er au futur ou au conditionnel : achètera aʃᴇtʁa, aimerais ᴇmʁᴇ, puisqu’il se trouve toujours au moins dans la 2e syllabe, sauf quand c’est impossible  à pro­non­cer (voir paragraphe suivant). casque-audio-avec-micro 13.1  ; attention au futur des verbes avec base vocalique (jou-er, cré-er etc.), où il ne faut pas pro­non­cer /ɶ/ (erreur fréquente) : jouera ʒuʁa, créera kʁeʁa, et aux mots en voyelle+ement, aboiement abwamɑ̃ casque-audio-avec-micro 13.2.
  4. les noms composés et certaines expressions forment des groupes figés où on ne pro­non­ce pas l’e : un coup de pied kutpje [potku], à bout de souffle abutsufl [hengästynyt], voir exemples casque-audio-avec-micro 13.3 et liste d’exemples.

Exceptions : pro­non­cia­tion de e obligatoire

Même si l’apprenant FLE peut se contenter de pro­non­cer tous les e sauf ceux dont la pro­non­cia­tion est interdite, il y a des cas où on pro­non­ce un e qui, d’après les règles ci-dessus, ne devrait pas être pro­non­cé :

  1. on pro­non­ce e quand le groupe dans lequel se trouve serait autrement impossible à pro­non­cer : mercredi (pour éviter *ʁkʁd ), dans certains futurs comme cadrera (pour éviter *dʁʁ), chambrera (pour éviter *bʁʁ) etc. ;
  2. on pro­non­ce e quand il est suivi, dans un même mot, de li/ri/mi/ni+ voyelle pro­non­cée (pho­né­ti­que­ment lj/ʁj/mj/nj +voyelle) : atelier, chancelier, sommelier, grenier, nous chan­terions, nous semions, nous appelions etc.
  3. dans les mots terminés par consonne+re/le, on pro­non­ce /ɶ/ final dans la pro­non­cia­tion soi­gnée [huoliteltu] : l’autre livre lotʁɶlivʁ (pas *lotʁlivʁ), une table bleue yntablɶblø (pas *yntablblø). Dans la langue parlée, on fait l’apocope ; de même, devant h disjonctif, on ne sup­pri­me pas /ɶ/ : l’autre hauteur lotʀɶotœʁ, notre héros notʀɶᴇʁo ;
  4. dans certains mots, on pro­non­ce toujours l’e même dans la 2e syllabe (et après) pour des raisons assez difficiles à déterminer, par exemple dans apercevoir (et les formes avec -ev- apercevant, apercevons, apercevais etc.), concevoir (et les formes avec -ev- concevant, con­ce­vons, concevais etc.), voir la liste ci-dessous.
  5. dans les mots quelque chose, quelquefois, quelque part, /ɶ/ se maintient en finale du mot quelque. On pro­non­ce donc dans une pro­non­cia­tion soignée kᴇlkɶʃoz sans supprimer /ɶ/. Dans la langue courante, dans la pro­non­cia­tion familière et « abrégée », on supprime l et on pro­non­ce kᴇkʃoz, en deux syllabes. Voir casque-audio-avec-micro 9.8.
Liste de mots où on maintient /ɶ/

Dans les mots suivants, on pro­non­ce l’e signalé en couleur, même dans la langue parlée familière ou rapide.

apercevoir
bedaine
benêt
concevoir, concevons etc.
échevelé
ensevelir
énervement
femelle
fenouil
forgeron
garnement
guenon
inversement
peler
penaud
peser (et formes conjuguées)
porcherie
quenouille
querelle
quelque chose
quelque part
quelquefois
sèche-cheveux
semer, semais, s emons etc.
secousse
squelette

ISBN 978-951-39-7388-9 © Jean-Michel Kalmbach 2018-2022 | Version 1.0