Guide de pro­non­cia­tion française pour apprenants finnophones
8. Quelques points généraux à retenir

Le français se pro­non­ce « ailleurs » et autrement

Même s’il y a beaucoup de points communs entre le phonétisme du finnois et celui du français, il y aussi des caractéristiques d’ensemble qui sont nettement différentes. On peut dire que le français se pro­non­ce « ailleurs » dans la bouche, et « autrement » .

En résumé,on peut dire que le français se pro­non­ce de façon plus tendue, plus dyna­mique. Il faut donc non seulement savoir réaliser les phonèmes, mais également les intégrer dans un mécanisme d’ensemble différent . Le mouvement des lèvres, la conservation de l’énergie et l’enchainement sont des caractérisiques que les fin­no­phones peuvent mettre beaucoup de temps à assimiler ou maitriser.

Le français se pro­non­ce par blocs

En français, nettement plus qu’en finnois, dans l’expression orale courante, des mots qui se suivent sont souvent pro­non­cés comme un seul « bloc », presque comme un seul mot (phonétiquement) : dans l’expression l’autre jour [viimeksi], les trois éléments forment un mot de deux syllabes, lodʒur. La phrase de cinq mots Ça ne te dit rien ? [Eikö kiinnosta/Eikö huvita?] est pro­non­cée en une seule séquence : sadːiʁjɛ̃. En général, ces blocs ont une longueur maximum de 6 à 7 syllabes.

Les pronoms personnels forment souvent un bloc avec le verbe, par exemple il me l’a dit imladi ; les locuteurs natifs n’ont pas besoin d’apprendre l’ordre des pronoms, parce qu’ils les apprennent sous formes de blocs dès leurs enfance. casque-audio-avec-micro 15, 17, 18, 19. Les limites et les différences entres les blocs sont indiquées par des pauses ou par l’accent de phrase (voir ci-dessous).

Pour l’apprenant étranger, il est difficile de reconnaitre ces blocs.

D’abord, il faut des connaissances de base de la grammaire pour identifier les mots qui vont ensemble. De plus, beaucoup de lettres, de syllabes écrites ou de mots écrits (qui étaient pro­non­cées autrefois) « disparaissent » quand on pro­non­ce. Pour cette raison, des sons qui semblent séparés dans la forme écrite se retrouvent en contact. À cause de l’assimilation de sonorité, cela peut transformer complètement la séquence sonore :

s’il te dit ça sidːisa, s’ils te disent ça sidːisːa
je te l’avais dit ʃtlavᴇdi, il me faut de l’argent imfodlaʁʒɑ̃

Pour l’apprenant de FLE de niveau débutant ou moyen, ces séquences de phonèmes ne se présentent pas comme des groupes rythmiques (le terme qu’utilisent les phonéticiens), mais plutôt comme des blocs « indéchiffrables » ou « impénétrables » [läpipääsemätön] (c’est pour cette raison qu’on a choisi d’utiliser ce ter­me). Ces blocs expliquent que les apprenants de FLE ont souvent l’impression que « le français qu’on apprend à l’école n’est pas celui que les Français parlent ».

L’« accent » est sur le début du mot, pas sur la fin

La tradition didactique enseigne que l’accent en français se trouve sur la dernière syllabe du mot ou du groupe de mots. La conséquence est que de nombreux finnophones se croient obligés d’appuyer systématiquement sur [painottaa] la dernière syllabe des mots français en la pro­nonçant plus haut que les autres, ce qui est complètement contraire à la réalité.

Ceci est dû en partie à une confusion sur les termes. En finnois, ce qu’on appelle l’accent, sanapaino, signifie effectivement qu’on pro­non­ce une syllabe plus fort ou plus haut que les autres, et en finnois c’est la première syllabe du mot, avec des accents secondaires si le mot est long ( VISK§13).

En français, l’accent est de nature différente : il s’entend essentiellement comme une rupture, une dis­con­ti­nui­té [katkos] à la fin d’un groupe de mots : on remarque qu’« il y a quelque chose ». La der­nière syllabe peut être un peu plus forte/longue/haute ou même plus basse que les autres ; ce qu’on remarque, c’est surtout le contraste avec les autres syllabes, une (légère) pause, un chan­ge­ment dans la mélodie etc.

Ces contrastes/discontinuités permettent de séparer des blocs de mots (ce sont généralement des éléments syntaxiques de la phrase). C’est pourquoi on appelle cet accent « accent de phrase ». L’accent de phrase est en quelque sorte une ponctuation [välimerkki] phonique.

L’« accent » (au sens du finnois sanapaino, le fait d’appuyer sur une syllable) qu’on entend le plus nettement en français moderne, c’est l’accent d’insistance. Et cet accent porte justement sur la première syllabe du mot ou de l’élément du début de la séquence, qui est pro­non­cée sur une mé­lo­die descendante. Exactement comme en finnois.

Quand on parle français, il ne faut donc pas appuyer inutilement…

et sys­té­ma­ti­que­ment sur une syllabe finale (comme le font par exemples les présentateurs radio/TV finlandais quand ils pro­non­cent le nom d’une personnalité française).

Voyelles et consonnes longues

En français, il n’y a pas de voyelles ou de consonnes longues qui permettent de distinguer des mots comme en finnois (sauf quelques rares exceptions, voir » ci-dessous).

Il y a beaucoup de consonnes longues « accidentelles », c’est-à-dire qui se produisent par la rencontre de deux mots ou de deux syllabes : cette table, la Finlande du sud etc. On en trouve de très nombreux exemples, notamment à cause d’un e non pro­non­cé. Ces consonnes longues résultent souvent aussi de l’assimilation de sonorité.

Cas de pro­non­cia­tion savante de consonnes longues non accidentelles

Un certain type de pro­non­cia­tion un peu affectée [teennäinen] consiste à pro­non­cer un double l ou un double m dans des mots comme illusion, allusion, sommet, grammaire, illégal, immense, immonde, irréel etc. En fait, c’est une pro­non­cia­tion savante (ou plutôt qui s’imagine savante), où on pro­non­ce ce qu’on écrit. C’est typique notamment des orateurs politiques ou des présentateurs de la télévision. C’est sans doute dû à un phénomène d’hypercorrectisme, et sans doute aussi une volonté d’expressivité, surtout dans le cas des adjectifs : il y a allongement émotionnel de la consonne : une con­fé­ren­ce au sommet [huippukokous] avec deux m somːɛ est plus importante ou plus solennelle qu’avec un seul /m/.

Il n’y a aucune règle permettant de prédire ces mots (les exemples indiqués ici sont les plus fréquents) : on entend rarement dire par exemple les immigrés ou l’immigration avec /mː/. La même personne, dans une autre situation, pourra d’ailleurs pro­non­cer normalement avec un seul l ou m. On peut dire que la pro­non­cia­tion d’une consonne longue dans ce cas est typique d’un style politico-journalistique ou scien­tifico-universitaire. Il s’agit là d’un des phénomènes irrationnels relevant de la sociolinguistique. Pour l’apprenant FLE, aucune crainte à avoir ni aucune règle à retenir : il suffit de pro­non­cer avec une con­sonne simple.

Il n’y a pas de voyelles longues accidentelles. Quand des voyelles se suivent dans un mot ou au contact de deux mots (créer, on va à Arles), on les pro­non­ce en les liant (enchainement vocalique), mais de telle façon qu’on reconnaisse chaque voyelle, comme en finnois kala-ateria, teini-ikäinen, qui ne sont pas pro­non­cés comme *kalaateria ou *teiniikäinen avec une voyelle longue.

Mais les voyelles peuvent parfois s’allonger légèrement…

Allongement combinatoire

On appelle « allongement combinatoire » l’allongement qui se produit quand un phonème est combiné à un ou plusieurs autres pronèmes, c’est-à-dire en contact avec ces phonèmes et influencé par ceux-ci :

  • une voyelle suivie d’une consonne sonore à la fin d’un mot ou d’un groupe de mots est souvent un peu plus longue que dans une autre position ; l’allongement est sensible [tuntuva] surtout quand la consonne finale est un /z/ ou un /ʒ/, comme dans pose (qui peut être perçu comme poːz), fraise (qui peut être perçu comme fʁɛːz) ou neige (qui peut être perçu comme nɛːʒ). Mais à l’intérieur du groupe on va faire une pause rapide, le o de pause est pro­non­cé bref, avec la même longueur que les autres voyelles pozʁapid.
  • quand une syllabe est accentuée à cause d’un accent de phrase ou d’un accent d’insistance, les phonèmes sont souvent légèrement plus longs que normalement. La nasale finale de quarante peut être un peu plus longue dans la phrase « J’en veux quarante. » que dans Il a qua­ran­te ans.

Cependant, dans ces cas, même si l’allongement des voyelles est perceptible et même si les ap­pre­nants finnophones l’en­ten­dent plus ou moins nettement (à cause du finnois, ils sont réceptifs aux différences de durée), il n’est ni systématique, ni automatique, ni obligatoire. On peut par exemple très bien prononcer J’en veux quarante » avec une voyelle brève kaʁɑ̃t. L’allongement combinatoire ne joue aucun rôle sur le plan pho­no­lo­gique, car il ne permet pas de dis­tin­guer deux mots qui seraient différents par le sens (fʁɛːz ≠ fʁɛz ou kaʁɑ̃ːt ≠ kaʁɑ̃t). Pour cette raison, transcrire par exemple le mot quarante dans un dictionnaire avec une nasale longue serait tout à fait contraire à la réalité.

Allongement à valeur distinctive

Quelques mots monosyllabiques (d’une seule syllabe) contenant un /ɛ/ sont assez fréquemment pro­non­cés avec un /ɛ/ légèrement plus long que normalement, pour les distinguer de certains homo­ny­mes, surtout à la fin d’un bloc phonique. On prononce ainsi l’être lɛˑtʁ pour le distinguer de lettre ; le mot maitre est souvent prononcé mɛˑtʁ pour le distinguer du mot mètre (c’est un maitre/c’est un mètre). Mais dans une pro­non­cia­tion rapide et ailleurs qu’à la fin d’un bloc phonique, la différence de longueur est inexistante. En général, les cas de confusion possible sont rares.

D’autres mots forment des paires de mots qui ne sont pas exactement homophones, mais qui contien­nent des voyelles proches. Dans ce cas, on allonge parfois la voyelle ouverte ou fermée pour mieux différencier les deux mots. Cet allongement est sensible surtout en finale de bloc phonique, et quand il y a réellement risque de confu­sion. On est alors même souvent obligé de répéter le mot avec une longue pour être sûr que l’interlocu­teur comprend la différence. À l’intérieur des groupes de mots, on le remarque nettement moins.

  • voyelle /o/ : il y a un léger allongement dans le cas de /o/ fermé, pour opposer cote /côte kɔt/koˑt, mort/maure mɔʁ/moˑʁ, notre/le nôtre, votre/le vôtre, molle/môle. Là aussi, pour les mêmes raisons que dans le cas de /ɛ/, les confusions sont rarement possibles. De plus, les deux /o/ sont de toute façon différents (ouvert/fermé), ce qui suffit déjà normalement à dis­tinguer un mot de l’autre.
  • voyelle /ø/ : on allonge en général la voyelle du mot jeûne [paasto] ʒøˑn pour mieux le différencier de jeune ʒœn [nuori]. Le cas le plus typique et le plus concret d’allongement à valeur distinc­tive concerne l’opposition ce/ceux. Si on veut distinguer dans la pro­non­cia­tion ce que tu vois et ceux que tu vois, on peut parfois avoir besoin de pro­non­cer ceux légèrement plus long, et on accentue la différence en prononçant un /ø/ très fermé et très labialisé : ce que tu vois sɶkɶtyvwa, ceux que tu vois søːkɶtyvwa ;
  • dans le cas de la voyelle /a/, la distinction entre /ɑ/ postérieur et /a/ antérieur a disparu de la langue courante moderne. On n’oppose donc plus pâte et patte par un /a/ différent mais, quand c’est nécessaire pour plus de clarté, on allonge légèrement le /a/ quand il est transcrit par un â : patte/pâte pat/paˑt. Dans ce cas aussi, la plupart du temps il n’y a pas de risque de confusion, car il s’agit de mots de catégories grammaticale différente ou de genre grammatical différent (féminin/masculin).

Dans tous ces cas, l’allongement à valeur distinctive n’est sensible qu’en finale de groupe de mots. À l’intérieur du groupe rythmique, il est complètement effacé. Par exemple on pro­non­ce /pat/ exactement de la même manière dans pâte d’amande pat̬damɑ̃d et patte de mouche pat̬dɶmuʃ.

Dans la pratique, les cas d’oppositions sémantiques reposant sur un allongement vocalique à valeur dis­tinc­tive sont rares ou très rares. Le seul cas où l’opposition de longueur soit vraiment « productive » est celui de ce/ceux.

ISBN 978-951-39-7388-9 © Jean-Michel Kalmbach 2018-2022 | Version 1.0 | Mod. 26.5.2022