Même s’il y a beaucoup de points communs entre le phonétisme du finnois et celui du français, il y aussi des caractéristiques d’ensemble qui sont nettement différentes. On peut dire que le français se prononce « ailleurs » dans la bouche, et « autrement » .
k
, les a
et le l
du finnois kala se prononcent nettement plus à l’arrière de la bouche qu’en français dans le groupe dans ce cas-là dɑ̃skala
;/o/ø/
et écartées a/i/e
qu’en finnois ;b/d/g/bʁ/dʁ/gʁ/z/ʒ
), les consonnes du finnois sont plus douces ;se
-ty
-nami
(comme si en finnois on disait hän on ihana hæ
-no
-nihana
). C’est l’enchainement consonantique. En résumé,on peut dire que le français se prononce de façon plus tendue, plus dynamique. Il faut donc non seulement savoir réaliser les phonèmes, mais également les intégrer dans un mécanisme d’ensemble différent . Le mouvement des lèvres, la conservation de l’énergie et l’enchainement sont des caractérisiques que les finnophones peuvent mettre beaucoup de temps à assimiler ou maitriser.
En français, nettement plus qu’en finnois, dans l’expression orale courante, des mots qui se suivent sont souvent prononcés comme un seul « bloc », presque comme un seul mot (phonétiquement) : dans l’expression l’autre jour [viimeksi], les trois éléments forment un mot de deux syllabes, lodʒur
. La phrase de cinq mots Ça ne te dit rien ? [Eikö kiinnosta/Eikö huvita?] est prononcée en une seule séquence : sadːiʁjɛ̃
. En général, ces blocs ont une longueur maximum de 6 à 7 syllabes.
Les pronoms personnels forment souvent un bloc avec le verbe, par exemple il me l’a dit imladi
; les locuteurs natifs n’ont pas besoin d’apprendre l’ordre des pronoms, parce qu’ils les apprennent sous formes de blocs dès leurs enfance. 15, 17, 18, 19. Les limites et les différences entres les blocs sont indiquées par des pauses ou par l’accent de phrase (voir ci-dessous).
D’abord, il faut des connaissances de base de la grammaire pour identifier les mots qui vont ensemble. De plus, beaucoup de lettres, de syllabes écrites ou de mots écrits (qui étaient prononcées autrefois) « disparaissent » quand on prononce. Pour cette raison, des sons qui semblent séparés dans la forme écrite se retrouvent en contact. À cause de l’assimilation de sonorité, cela peut transformer complètement la séquence sonore :
s’il te dit ça sidːisa
, s’ils te disent ça sidːisːa
je te l’avais dit ʃtlavᴇdi
, il me faut de l’argent imfodlaʁʒɑ̃
Pour l’apprenant de FLE de niveau débutant ou moyen, ces séquences de phonèmes ne se présentent pas comme des groupes rythmiques (le terme qu’utilisent les phonéticiens), mais plutôt comme des blocs « indéchiffrables » ou « impénétrables » [läpipääsemätön] (c’est pour cette raison qu’on a choisi d’utiliser ce terme). Ces blocs expliquent que les apprenants de FLE ont souvent l’impression que « le français qu’on apprend à l’école n’est pas celui que les Français parlent ».
La tradition didactique enseigne que l’accent en français se trouve sur la dernière syllabe du mot ou du groupe de mots. La conséquence est que de nombreux finnophones se croient obligés d’appuyer systématiquement sur [painottaa] la dernière syllabe des mots français en la prononçant plus haut que les autres, ce qui est complètement contraire à la réalité.
Ceci est dû en partie à une confusion sur les termes. En finnois, ce qu’on appelle l’accent, sanapaino, signifie effectivement qu’on prononce une syllabe plus fort ou plus haut que les autres, et en finnois c’est la première syllabe du mot, avec des accents secondaires si le mot est long ( VISK§13).
En français, l’accent est de nature différente : il s’entend essentiellement comme une rupture, une discontinuité [katkos] à la fin d’un groupe de mots : on remarque qu’« il y a quelque chose ». La dernière syllabe peut être un peu plus forte/longue/haute ou même plus basse que les autres ; ce qu’on remarque, c’est surtout le contraste avec les autres syllabes, une (légère) pause, un changement dans la mélodie etc.
Ces contrastes/discontinuités permettent de séparer des blocs de mots (ce sont généralement des éléments syntaxiques de la phrase). C’est pourquoi on appelle cet accent « accent de phrase ». L’accent de phrase est en quelque sorte une ponctuation [välimerkki] phonique.
L’« accent » (au sens du finnois sanapaino, le fait d’appuyer sur une syllable) qu’on entend le plus nettement en français moderne, c’est l’accent d’insistance. Et cet accent porte justement sur la première syllabe du mot ou de l’élément du début de la séquence, qui est prononcée sur une mélodie descendante. Exactement comme en finnois.
et systématiquement sur une syllabe finale (comme le font par exemples les présentateurs radio/TV finlandais quand ils prononcent le nom d’une personnalité française). Quand on parle français, il ne faut donc pas appuyer inutilement…
En français, il n’y a pas de voyelles ou de consonnes longues qui permettent de distinguer des mots comme en finnois (sauf quelques rares exceptions, voir » ci-dessous).
Il y a beaucoup de consonnes longues « accidentelles », c’est-à-dire qui se produisent par la rencontre de deux mots ou de deux syllabes : cette table, la Finlande du sud etc. On en trouve de très nombreux exemples, notamment à cause d’un e non prononcé. Ces consonnes longues résultent souvent aussi de l’assimilation de sonorité.
Un certain type de prononciation un peu affectée [teennäinen] consiste à prononcer un double l ou un double m dans des mots comme illusion, allusion, sommet, grammaire, illégal, immense, immonde, irréel etc. En fait, c’est une prononciation savante (ou plutôt qui s’imagine savante), où on prononce ce qu’on écrit. C’est typique notamment des orateurs politiques ou des présentateurs de la télévision. C’est sans doute dû à un phénomène d’hypercorrectisme, et sans doute aussi une volonté d’expressivité, surtout dans le cas des adjectifs : il y a allongement émotionnel de la consonne : une conférence au sommet [huippukokous] avec deux m somːɛ
est plus importante ou plus solennelle qu’avec un seul /m/
.
Il n’y a aucune règle permettant de prédire ces mots (les exemples indiqués ici sont les plus fréquents) : on entend rarement dire par exemple les immigrés ou l’immigration avec /mː/
. La même personne, dans une autre situation, pourra d’ailleurs prononcer normalement avec un seul l ou m. On peut dire que la prononciation d’une consonne longue dans ce cas est typique d’un style politico-journalistique ou scientifico-universitaire. Il s’agit là d’un des phénomènes irrationnels relevant de la sociolinguistique. Pour l’apprenant FLE, aucune crainte à avoir ni aucune règle à retenir : il suffit de prononcer avec une consonne simple.
Il n’y a pas de voyelles longues accidentelles. Quand des voyelles se suivent dans un mot ou au contact de deux mots (créer, on va à Arles), on les prononce en les liant (enchainement vocalique), mais de telle façon qu’on reconnaisse chaque voyelle, comme en finnois kala-ateria, teini-ikäinen, qui ne sont pas prononcés comme *kalaateria ou *teiniikäinen avec une voyelle longue.
On appelle « allongement combinatoire » l’allongement qui se produit quand un phonème est combiné à un ou plusieurs autres pronèmes, c’est-à-dire en contact avec ces phonèmes et influencé par ceux-ci :
/z/
ou un /ʒ/
, comme dans pose (qui peut être perçu comme poːz
), fraise (qui peut être perçu comme fʁɛːz
) ou neige (qui peut être perçu comme nɛːʒ
). Mais à l’intérieur du groupe on va faire une pause rapide, le o de pause est prononcé bref, avec la même longueur que les autres voyelles pozʁapid
.Cependant, dans ces cas, même si l’allongement des voyelles est perceptible et même si les apprenants finnophones l’entendent plus ou moins nettement (à cause du finnois, ils sont réceptifs aux différences de durée), il n’est ni systématique, ni automatique, ni obligatoire. On peut par exemple très bien prononcer J’en veux quarante » avec une voyelle brève kaʁɑ̃t
. L’allongement combinatoire ne joue aucun rôle sur le plan phonologique, car il ne permet pas de distinguer deux mots qui seraient différents par le sens (fʁɛːz ≠ fʁɛz
ou kaʁɑ̃ːt ≠ kaʁɑ̃t
). Pour cette raison, transcrire par exemple le mot quarante dans un dictionnaire avec une nasale longue serait tout à fait contraire à la réalité.
Quelques mots monosyllabiques (d’une seule syllabe) contenant un /ɛ/
sont assez fréquemment prononcés avec un /ɛ/
légèrement plus long que normalement, pour les distinguer de certains homonymes, surtout à la fin d’un bloc phonique. On prononce ainsi l’être lɛˑtʁ
pour le distinguer de lettre ; le mot maitre est souvent prononcé mɛˑtʁ
pour le distinguer du mot mètre (c’est un maitre/c’est un mètre). Mais dans une prononciation rapide et ailleurs qu’à la fin d’un bloc phonique, la différence de longueur est inexistante. En général, les cas de confusion possible sont rares.
D’autres mots forment des paires de mots qui ne sont pas exactement homophones, mais qui contiennent des voyelles proches. Dans ce cas, on allonge parfois la voyelle ouverte ou fermée pour mieux différencier les deux mots. Cet allongement est sensible surtout en finale de bloc phonique, et quand il y a réellement risque de confusion. On est alors même souvent obligé de répéter le mot avec une longue pour être sûr que l’interlocuteur comprend la différence. À l’intérieur des groupes de mots, on le remarque nettement moins.
/o/
: il y a un léger allongement dans le cas de /o/
fermé, pour opposer cote /côte kɔt/koˑt
, mort/maure mɔʁ/moˑʁ
, notre/le nôtre, votre/le vôtre, molle/môle. Là aussi, pour les mêmes raisons que dans le cas de /ɛ/
, les confusions sont rarement possibles. De plus, les deux /o/
sont de toute façon différents (ouvert/fermé), ce qui suffit déjà normalement à distinguer un mot de l’autre. /ø/
: on allonge en général la voyelle du mot jeûne [paasto] ʒøˑn
pour mieux le différencier de jeune ʒœn
[nuori]. Le cas le plus typique et le plus concret d’allongement à valeur distinctive concerne l’opposition ce/ceux. Si on veut distinguer dans la prononciation ce que tu vois et ceux que tu vois, on peut parfois avoir besoin de prononcer ceux légèrement plus long, et on accentue la différence en prononçant un /ø/
très fermé et très labialisé : ce que tu vois sɶkɶtyvwa
, ceux que tu vois søːkɶtyvwa
;/a/
, la distinction entre /ɑ/
postérieur et /a/
antérieur a disparu de la langue courante moderne. On n’oppose donc plus pâte et patte par un /a/
différent mais, quand c’est nécessaire pour plus de clarté, on allonge légèrement le /a/
quand il est transcrit par un â : patte/pâte pat/paˑt
. Dans ce cas aussi, la plupart du temps il n’y a pas de risque de confusion, car il s’agit de mots de catégories grammaticale différente ou de genre grammatical différent (féminin/masculin).Dans tous ces cas, l’allongement à valeur distinctive n’est sensible qu’en finale de groupe de mots. À l’intérieur du groupe rythmique, il est complètement effacé. Par exemple on prononce /pat/
exactement de la même manière dans pâte d’amande pat̬damɑ̃d
et patte de mouche pat̬dɶmuʃ
.
Dans la pratique, les cas d’oppositions sémantiques reposant sur un allongement vocalique à valeur distinctive sont rares ou très rares. Le seul cas où l’opposition de longueur soit vraiment « productive » est celui de ce/ceux.