Guide de grammaire française
pour étudiants finnophones

  Index alphabétique

Code écrit et
français parlé

Termes utilisés

Tournures typiques du français parlé

Traits caractéristiques du français parlé

 Les procédés de transcription du français parlé

Stabilité vs évolution

Bon français contre mauvais français

L’hypercorrectisme

Le kit de survie
de l’étudiant Erasmus

Termes utilisés

Code écrit et fran­çais parlé

S’il va dans un pays francophone ou sim­ple­ment sur Internet, l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étrangère (FLE) remar­que assez vite que le fran­çais que les gens uti­li­sent n’est pas exac­te­ment celui enseigné dans les manuels de fran­çais. Bien qu’il soit enseigné à l’école, le fran­çais « des livres » n’est pas le fran­çais qu’on uti­lise dans la vie cou­ran­te. C’est le cas dans de très nom­breuses au­tres langues du monde éga­le­ment.

Le fran­çais écrit est un code, dans le sens de « recueil de règles » (normisto), qu’on appelle gé­né­ra­le­ment la langue écrite, en fin­nois kirjakieli (« la langue des livres »). Un code doit être stable (kiinteä, pysyvä), et en général on évite de le changer si ce n’est pas né­ces­sai­re. La langue que les gens parlent réellement est en cons­tan­te évo­lu­tion.

Pour opposer net­te­ment le caractère né­ces­sai­rement rigide (jäykkä, kiinteä) du fran­çais écrit et le caractère instable et changeant de la langue qu’uti­li­sent les gens tous les jours, on uti­li­se dans ce Guide de gram­mai­re les termes sui­vants :

Remar­que : le fran­çais parlé est évi­dem­ment aus­si un code, c’est-à-dire un ensemble de nor­mes, mais on uti­li­se le terme gé­né­ri­que de « fran­çais parlé » pour souligner qu’il n’est pas codifié de la mê­me ma­niè­re que le fran­çais écrit, qu’il contient plus de variation et qu’il est en per­pé­tuelle évolution.

Écrit et oral

Dans ce Guide, les termes code écrit et fran­çais parlé dé­si­gnent des codes, c’est-à-dire des en­sem­bles de règles et d’usages, et non pas la pro­duc­tion écrite opposée à la production orale.

On peut uti­li­ser le code écrit en écrivant mais aus­si en parlant (dans un dis­cours of­fi­ciel, par ex­em­ple). Inversement, on peut écrire le fran­çais parlé (par ex­em­ple dans la com­mu­ni­ca­tion sur les réseaux sociaux). La dif­fé­ren­ce prin­ci­pa­le est que quand on parle, on n’entend pas tou­te une quantité de choses qui sont visibles quand elles sont écrites, par ex­em­ple la dif­fé­ren­ce entre les terminaisons ver­bales (elle parle/elles par­lent) ou l’accord du par­ti­ci­pe passé (les livres qu’il a achetés/les tomates qu’il a ache­tées).

Pour cette raison, dans cer­tains cas, on uti­li­se aus­si dans ce Guide les ex­pres­sions :

Par ex­em­ple on peut dire que la règle qui veut qu’on écrive un adjectif dé­si­gnant une na­tio­nalité avec une majuscule quand il dé­si­gne un nom (deux Fran­çais et trois Al­le­mands) n’a absolument au­cu­ne signification à l’oral, puis­qu’on n’entend pas la ma­jus­cu­le.

Niveaux, registres, styles

En plus des dif­fé­ren­ces structurelles entre le code écrit et le fran­çais parlé, il y a aus­si à l’intérieur de ces deux codes des variations qui dépendent de la si­tua­tion ou du contexte dans lesquels on les uti­li­se.

En fran­çais com­me en fin­nois, on ne s’ex­pri­me pas de la mê­me ma­niè­re quand on ré­di­ge un rapport administratif, un ar­ti­cle scientifique, un courriel envoyé à un ami ou au service des impôts, ni quand on parle pen­dant une conférence, un cours, un entretien d’em­bau­che, ou à ses enfants dans le cadre familial. Le code écrit et le fran­çais parlé connaissent des variétés en fonc­tion de la situa­tion d’énon­ciation, du con­tex­te, du des­tinataire etc.

On décrit sou­vent ces variations par le terme de « niveau de langue ». On uti­li­se aus­si pa­ral­lè­le­ment le terme de « registre de langue » pour décrire les variations tex­tu­el­les ou so­cio­lin­guis­ti­ques (style littéraire, langue familière, langue po­pu­lai­re, lan­gue vulgaire etc.). Ces ap­pré­cia­tions se recoupent (ovat päällekkäisiä) sou­vent en par­tie, et parfois de façon il­lo­gi­que. Dans le présent Guide, on uti­li­se le terme de style, qui est plus vague et évoque pour les fin­no­pho­nes par ex­em­ple les termes connus de ylätyyli, alatyyli.

Variations du code écrit

Dans ce Guide de gram­mai­re, on distingue donc dans le code écrit :

Variations du fran­çais parlé

Dans le fran­çais parlé, qui est moins codifié et présente net­te­ment plus de va­ria­tion en fonction des lo­cu­teurs, on peut distinguer :

Fran­çais cou­rant

Dans la majorité des cas, il n’y a pas de dif­fé­ren­ce entre le code écrit cou­rant et le fran­çais parlé cou­rant. Pour cette raison, on uti­li­se aus­si le terme gé­né­ri­que de fran­çais cou­rant (en fin­nois, ce serait yleiskieli), qui dé­si­gne un usage commun au code écrit et au fran­çais parlé. Par ex­em­ple, la ques­tion Mitä se on? peut se tra­dui­re de plu­sieurs ma­niè­res :

code écrit strict : Qu’est-ce ?
fran­çais cou­rant : Qu’est-ce que c’est ?
fran­çais familier : C’est quoi, ça ?

Tournures typiques du fran­çais parlé

Français familier et fran­çais parlé

Le lexique (vocabulaire) est le domaine dans lequel les usagers identifient ha­bi­tu­el­le­ment des traits de fran­çais « parlé ». On uti­li­se des mots com­me machin, bidule, truc… Mais ce ne sont pas vraiment des ca­rac­té­ris­ti­ques du fran­çais parlé, car on les uti­li­se aus­si occa­sion­nel­le­ment dans le code écrit. Ce sont simplement des mots du style fa­mi­lier.

De mê­me, les dif­fé­ren­ces grammaticales ou morphosyntaxiques (par ex­em­ple ab­sen­ce de ne né­ga­ti­f, élision de tu devant voyelle), ainsi que les dif­fé­ren­ces pho­né­ti­ques reflètent l’évolution de la structure de la langue. Ces dif­fé­ren­ces sont faciles à remar­quer.

La dif­fé­ren­ce entre le code écrit et le fran­çais parlé est sou­vent moins nette (et sou­vent moins facile à reconnaitre pour les fran­co­pho­nes eux-mê­mes) dans cer­tai­nes tournures (ilmaisutapa) qui ne sont pas vraiment familières, mais qu’on évite dans le code écrit strict. Il s’agit sou­vent d’un em­ploi par­ti­cu­lier de cer­tai­nes ex­pres­sions ou cons­truc­tions gram­ma­ti­cales tout à fait banales et nor­ma­les.

L’exem­ple le plus ca­rac­té­ris­ti­que est com­me ça, qui est une locu­tion pas­se­par­tout très pra­ti­que et très uti­li­sée dans le fran­çais parlé : com­me ça remplace l’ad­ver­be ainsi, les ad­jec­tifs tel, pareil ou le grou­pe de ce gen­re (lire…). Ci-dessous figure une liste de quel­ques au­tres exem­ples de tournures ou em­plois par­ti­cu­liers (qui sont décrits en détail dans d’au­tres pages).

Tournures du fran­çais parlé

Certains ad­ver­bes cou­ram­ment employés dans la langue de tous les jours (et qui ne sont mê­me pas sentis com­me étant du fran­çais parlé par une grande par­tie des usagers de la langue), sont pra­ti­que­ment inusités dans le code écrit strict (rédac­tion de style ad­mi­nis­tra­tif, juridique etc.), par exem­ple :

fran­çais cou­rantcode écrit strict 
en tout casen tout état de cause, quoi qu’il en soit
quand mê­menéanmoins, mal­gré cela
en plus (en tête de phra­se)de plus, en outre

Le grou­pe figé et invariable pas mal peut servir d’ad­jec­tif, d’ad­ver­be et mê­me de dé­ter­mi­nant (pas mal de travail). Le succès de pas mal s’explique par la complexité des cons­truc­tions équi­va­lentes dans le code écrit.

La locu­tion com­me dit « kuten sanottu », fré­quente com­me par­ti­cu­le de rem­plis­sa­ge, qui cor­res­pond dans le code écrit à com­me on l’a dit / com­me on l’a vu.

Et puis est employé com­me com­me connecteur argumentatif en tête de phra­se, qui cor­res­pond en fin­nois à 1) « ja sit vielä, ja lisäksi » 2) « ja muutenkin ». Cet em­ploi est lé­gè­re­ment fa­mi­li­er en tête de phra­se et cor­res­pond à l’écrit par exem­ple à De surcroit… ou Qui plus est… etc. ;

On dirait est employé com­me com­men­tai­re (il cor­res­pond exac­te­ment pour le sens et le style au fin­nois näköjään), code écrit : semble-t-il ou à ce qu’il semble ;

il parait (fin­nois kuulemma), uti­li­sé com­me com­men­tai­re ou com­me ré­pon­se, code écrit c’est ce qu’on dit / c’est ce qu’on entend dire ;

La locu­tion com­me quoi est uti­li­sée com­me connecteur argumentatif (com­me quoi, j’ai eu raison de ne pas partir), qui cor­res­pond pour le sens et le style au fin­nois eli siis, code écrit par exem­ple Autrement dit… ;

Certains ad­ver­bes sont utilisés com­me ad­jec­tifs qualificatifs (trop, pas mal, bien etc.) :

Elle est trop, cette fille ! Ce film est trop trop trop bien ! Le restau était pas mal. En plus, com­me si c’était déjà pas assez, des voisines géniales (enfin, pres­que tou­tes). Ce prof, c’est vraiment quel­qu’un de bien.

Certains ad­ver­bes com­me bien sûr, peut-être, évi­dem­ment sont suivis de que en tête de phra­se, com­me s’ils remplaçaient un pro­po­si­tion prin­ci­pa­le :

Bien sûr que je t’aime ! [code écrit : Tu sais bien que je t’aime.] Peut-être qu’on vien­dra. [code écrit : Nous viendrons peut-être. / Peut-être viendrons-nous.] Évi­dem­ment qu’il a raison. [code écrit : Il est évident qu’il a raison].

Certaines conjonctions ou locutions conjonctives s’em­ploient dans le fran­çais parlé et sont peu utilisées dans le code écrit strict :

ce n’est pas que → code écrit non que ce qui fait que → code écrit si bien que pour pas que → code écrit  de peur que

On uti­li­se l’in­ter­ro­ga­tif ordinal combientième, qui cor­res­pond exac­te­ment au fin­nois monesko, pour suppléer l’absence de mot spécifique (le mot quantième serait l’équi­va­lent exact, mais il est rarement utilisé dans ce sens).

Les locutions conjonctionnelles si jamais (et ses va­rian­tes pour si jamais ou au cas où) sont utilisées com­me ad­ver­bes de rappel :

Donne-moi ton numéro de téléphone, au cas où. J’avais emporté une bouteille de vin, au cas où. La remar­que était évidente et sim­ple­ment là pour si jamais.

Traits ca­rac­té­ris­ti­ques du fran­çais parlé

Cette section présente un résumé des règles décrites dans d’au­tres pages de ce Guide.

Caractéristiques morphosyntaxiques

On peut d’abord noter les ca­rac­té­ris­ti­ques sui­vantes au niveau mor­pho­syn­ta­xi­que ou au niveau syntagmatique (cette distinction n’est pas très rigoureuse et a es­sen­tiel­le­ment pour objet de permet­tre un classement sommaire des données).

a.  L’ar­ti­cle in­dé­fi­ni pluriel des a ten­dan­ce à conserver sa for­me des au lieu de pas­ser à de devant ad­jec­tif an­té­po­sé , sauf devant un ad­jec­tif com­mençant par une voyelle :

T’as acheté des nouveaux rideaux ? On a mangé des bonnes tartes.

b.  L’accord du par­ti­ci­pe passé se fait rarement à l’oral  :

Il faudrait laver la chemise que t’as mis hier. Les choses qu’il a dit étaient très intéressantes.

c.  On fait l’accord au singulier du ver­be être dans la cons­truc­­tion c’est + gn pluriel  :

Tu vois ces paquets ? C’est les cadeaux qui sont arrivés pour toi. C’est qui, ces gens sur la photo ? – C’est nos amis danois.

d.  Dans la né­ga­tion, il y a suppression quasi systématique de l’ad­ver­be ne né­ga­ti­f, seul le deuxième mot né­ga­tif (pas, plus, rien etc.) est uti­li­sé  :

Il vient pas demain. Je suis pas d’accord. J’ai rien vu. Il parle plus à personne. Elle sort jamais.

e.  Uti­li­sa­tion de la for­me ça à la place de cela  :

Ça m’intéresse pas. Il faudrait que quel­qu’un s’occupe de ça le plus vite pos­si­ble.

– uti­li­sa­tion de ce/ça à la place de il impersonnel  :

Ça sera prêt quand ? Ça n’est pas trop dur ? C’est normal que tu sois fatigué. En semaine, c’est difficile de trouver une place de parking. Ça me semble pas normal qu’il reste là sans rien faire.

– uti­li­sa­tion de ça com­me anaphorique-déictique « universel » pour ren­voy­er à des GN (ça ren­voie en réalité à la situation dans laquelle le GN est énon­cé  :

Tu as une vilaine plaie à la main, il faut soigner ça. Qu’est-ce que tu penses de cette robe ? – C’est pas mal. [C’ est un allomorphe de Ça]

f.  Uti­li­sa­tion de y et en en fonc­tion de pro­nom com­plé­ment de ver­be pré­po­si­tion­nel (CVP) pour ren­voy­er à un animé . Dans les exem­ples sui­vants, les for­mes du code écrit sont respectivement je rêve d’elle et je pense à eux :

Je suis fou de cette actrice. J’en rêve la nuit. Mes enfants me manquent beau­coup. J’y pense sou­vent.

g.  Uti­li­sa­tion de l’anaphore pré­po­si­tionnelle pour reprendre un CVP (pos­si­ble éga­le­ment avec un com­plé­ment de phra­se) non animé :

Le chat semblait très intrigué par cette nouvelle plante, il n’arrêtait pas de tourner autour. Inutile de chercher cet horrible vase que tu détestais tant, je l’ai donné, tu ne risques plus de tomber dessus.

Cette anaphore pré­po­si­tionnelle peut se combiner avec un pro­nom faible com­plé­ment de ver­be pré­po­si­tion­nel (CVP). Dans ce cas, la cons­truc­­tion peut aus­si ren­voy­er à un animé :

Les poussins se sont enfuis en piaillant quand je leur ai couru après. Fais at­ten­tion, il y a une guêpe qui te tourne autour. Tu sais pas ce qui m’est arrivé ? Il y a la voiture des pompiers qui m’ est rentrée dedans au carrefour !

h.  Uti­li­sa­tion quasi systématique du pro­nom su­jet faible on pour dé­si­gner la personne 4 (nous)  ; les for­mes pleines restent ce­pen­dant nous :

Ce soir, on va tous faire la fête au parc de l’Orangerie. Demain, on sera sans doute crevés. Ils nous ont rien dit, vu qu’ils disent jamais rien à nous, et nous on leur a rien demandé, c’est pour ça qu’on sait rien de tou­te cette histoire !

i.  Uti­li­sa­tion de l’ar­ti­cle massif dé­ter­mi­nant un ad­jec­tif à la place de la cons­truc­­tion quel­que chose de + ad­jec­tif  :

Ce blabla ne m’intéresse pas, je veux du concret, du simple ! Il me faudrait vraiment un matériel adéquat mais je suis paumé, bref il me faudrait du facile et de l’efficace.

j.  Suppression fré­quente du su­jet il impersonnel devant les for­mes simples de falloir et de faire , et du su­jet je devant cer­tains ver­bes (ex­pres­sions devenues plus ou moins figées) :

Fallait pas leur dire! Fait pas chaud, hein ? Faudrait se grouiller ! C’est qui ce type sur la photo, là ? – Connais pas. / – Jamais vu ! Il rentre quand, ton ami ? – Sais pas !

et oc­ca­sion­nellement devant d’au­tres ver­bes, dans les cons­truc­tions dis­lo­quées: M’énerve, ce machin !

k.  Uti­li­sa­tion de cer­tains ad­jec­tifs com­me ad­ver­bes, no­tam­ment grave ou dur (avec des significations va­ria­bles : « beau­coup », « trop », « dif­fi­ci­le­ment » etc.) :

Avec son beau prénom, elle frime grave. J’ai bossé là-dessus depuis sa retraite au moins deux ans, enfin elle comprend dur dur !! Monsieur SFR se la pète grave. [titre de message blog]

Procédés de thématisa­tion et de focalisation

Au niveau de la phra­se et de l’agencement des idées, on peut mentionner les pro­cé­dés sui­vants qui sont fré­quem­ment uti­li­sés dans le fran­çais parlé :

a. uti­li­sa­tion abondante de la dislocation, à la fois de la disloca­tion à gauche , qui est re­la­ti­ve­ment fré­quente à l’écrit éga­le­ment, mais aus­si de la disloca­tion disloca­tion à droite , qui est pres­que ex­clu­si­ve­ment un pro­cé­dé du fran­çais parlé :

Il me casse les pieds, ce type. Tiens, je t’avais pas vu, toi. Rouge, qu’elle est, la voiture de mon frère.

b. uti­li­sa­tion abondante des phrases cli­vées et des phra­ses pseudo-cli­vées (celles-ci sont ce­pen­dant cou­rantes à l’écrit aus­si) :

C’est à cet endroit-là que la nouvelle ferme éolienne doit être construite. C’est de lui que je t’ai parlé. C’est en lisant le journal que j’ai appris la nouvelle. Par­ti­ci­per ne m’intéresse pas, c’est gagner que je veux. Ce que nous nous voudrions fai­re et ce dont nous aurions besoin, c’est de signer un partenariat avec une com­pa­gnie plus im­por­tan­te. Ce à quoi personne n’avait osé penser, c’est que la fonte de la calotte polaire s’accélèrerait à ce point. S’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on arrive systématiquement en retard.

c. uti­li­sa­tion re­la­ti­ve­ment restreinte du passif, remplacé par les pro­cé­dés de thé­ma­ti­sa­tion et de fo­ca­li­sa­­tion ci-dessus :

Le chalet a été loué par des vacanciers italiens. → C’est des Italiens qui ont loué le chalet.

Utilisation de il y a introducteur

Dans le fran­çais parlé, il y a une nette ten­dan­ce à éviter de com­mencer la phra­se di­rec­te­ment par un GN, surtout s’il est in­dé­fi­ni (de mê­me pour les pro­noms in­dé­fi­nis). On uti­li­se il y a com­me ac­tu­a­li­seur d’in­dé­fi­ni en tête de phra­se, pro­cé­dé ap­pli­qué éga­le­ment, mais moins systé­ma­ti­que­ment, aux GN dé­fi­nis, ou bien dans des cons­truc­tions pseudo-cli­vées  :

Il y a des gens qui attendent devant le magasin. Il y en a qui sont jamais contents. Il y a le téléphone qui sonne. Y a ton pantalon qui est déchiré. Il y a quel­qu’un qui m’a poussée. Il y a personne qui était contre. S’il y a quel­que chose que j’peux pas piffer, c’est les émissions de télé-réalité.

Interroga­tion di­rec­te et in­di­recte

a. dans l’in­ter­ro­ga­tion di­rec­te, uti­li­sa­tion quasi systématique de l’in­ter­ro­ga­tion par intonation. L’in­ver­sion du su­jet est uti­li­sée épisodiquement seu­le­ment. La cons­truc­tion est-ce que est uti­li­sée assez fré­quemment, mais il y a une ten­dan­ce à ap­pli­quer l’ordre des mots normal SVC à tout type de ques­tions (in­ter­ro­ga­tion totale, ou in­ter­ro­ga­tion par­tielle avec un mot in­ter­ro­ga­tif) :

Tu viens ou tu viens pas? Tes parents sont déjà rentrés de vacances ? Je pourrais te demander un truc, là ? Est-ce que t’en as en­co­re besoin ? Vous rentrez quand ce soir ? Il a choisi qui ? Tu as acheté ça pour qui ? Il se passe quoi, ici ? On mange quand et où ? Il y a deux séances pour le film, on va à laquelle ?

b. uti­li­sa­tion de diverses va­rian­tes des cons­truc­tions avec l’élément est-ce dont l’or­dre des mots est ré­ta­bli dans le sens SVC :

Qui est-ce qui vient ? = Qui c’est qui vient ? = C’est qui qui vient ?

c. ten­dan­ce à conserver dans l’in­ter­ro­ga­tion in­di­recte les for­mes et l’ordre des mots (inversion) de l’in­ter­ro­ga­tion di­rec­te :

Qui est-ce qui vient ? → Je ne sais pas qui est-ce qui vient [for­me standard : Je ne sais pas qui vient]. Où est-ce que ça s’est passé ? → Personne ne sait où est-ce que ça s’est passé [for­me standard : où ça s’est passé].

Propositions re­la­ti­ves

Dans le fran­çais parlé, il y a une ten­dan­ce à simplifier les cons­truc­tions re­la­ti­ves avec pro­noms com­plé­ments pré­po­si­tionnels (dont, à qui, etc.) en uti­li­sant une sorte de « con­jonc­tion re­la­ti­ve » que et en modifiant la struc­ture de la phra­se (voir La re­la­ti­ve dans le fran­çais parlé) :

Tiens voilà le livre dont je te parlais l’au­tre jour → Tiens, voilà le livre que je te parlais l’au­tre jour. le type avec lequel tu es parti → le type que tu es parti avec. C’est celle avec qui je suis. → C’est celle que je suis avec. le magasin devant lequel je t’attendais → le magasin que je t’attendais devant

Autres altérations cou­rantes

En plus des mo­di­fi­ca­tions traitées ci-dessus, on peut mentionner éga­le­ment pour mémoire d’au­tres al­té­ra­tions cou­rantes, no­tam­ment des contractions diverses, qui ne produisent pas de for­mes pouvant prêter à confu­sion :

F’pas suer ! Et ooola f pas rire ! F’ pas braire à la fin !

 Les pro­cé­dés de transcrip­tion du fran­çais parlé

Des transcrip­tions non standardisées

La pro­non­cia­tion est un au­tre domaine dans lequel les usagers identifient fa­ci­le­ment des traits de fran­çais parlé. Ces traits ca­rac­té­ris­ti­ques sont pré­sen­tés dans le Guide de pro­non­cia­tion, avec de nom­breux ex­em­ples dans divers exercices.

Dans cer­tains contextes, on transcrit ces variations typiques du fran­çais parlé : dans des romans, des blogs, des forums en ligne, la bande dessinée etc. Mais sou­vent ces trans­crip­tions sont difficiles à interpréter pour les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re et peu­vent pro­vo­quer des con­fu­sions dans l’interpréta­tion des structures gram­ma­ti­cales. La trans­crip­tion de ces for­mes à l’écrit n’est pas standardisée et les ma­niè­res de trans­crire peu­vent varier à l’in­té­rieur d’un mê­me texte ou chez un mê­me auteur, et être non cohérentes. On peut retenir deux ca­rac­té­ris­ti­ques gé­né­rales:

a) l’apostrophe est abondamment uti­li­sée pour indiquer une lettre ou un mot supprimés :

l’patron = le patron ; i’ dit = il dit ; p’têt’ = peut-être ; ’fallait pas l’dire = il ne fallait pas le dire.

De nom­breux exem­ples relevés (et cités dans ce chapitre) montrent que l’a­pos­tro­phe a pra­ti­que­ment une fonc­tion iconique de re­pré­senta­tion du fran­çais parlé : de nom­breux usagers ajoutent une apostrophe (consciemment ou non) parce que pour eux elle est le symbole mê­me du fran­çais parlé transcrit par écrit (par exem­ple dans y’ z’ont dit, l’apostrophe après y est redondante). Il ne faut donc pas s’étonner de voir l’apostrophe uti­li­sée un peu au hasard.

b) La lettre z sert sou­vent à mar­quer la liaison en /z/ quand la transcrip­tion n’y suffit pas (y z’ont = ils ont), ou à indiquer une liaison supplémentaire dans une structure non standard (donne-moi-z-en / donne-moi-z’en (mais on peut aus­si trouver la va­rian­te donne-moi-s-en).

Élision de e devant consonne

Les pro­noms et dé­ter­mi­nants monosyllabiques terminés par e s’élident devant consonne (devant voyelle, l’élision est nor­ma­le, puis­qu’elle mê­me de règle : l’ami l’a dit). L’e élidé est transcrit par une apostrophe :

je → j’Moi j’trouve que les gens sont trop durs.
me → m’ Des fois tu pars à droite à gauche et tu m’préviens mê­me plus.
te → t’ Ça t’dirait d’aller à la chasse au caribou avec moi ?
ce → c’ Com­ment ça s’arrête, c’machin ?
le ar­ti­cle → l’ Heureusement que tu m’as donné l’truc.
le pro­nom → l’Fallait pas l’dire !

Dans les suites je me / je te, l’e muet tombe soit dans le su­jet je soit dans le pro­nom com­plé­ment me/te, voir Guide de pro­non­cia­tion.

Chute du l final de il

Le l final du pro­nom [il] (il ou ils) tombe devant consonne : il tape /itap/, ils disent /idiz/. Au pluriel, on pro­non­ce /iz/ devant voyelle. Cet /i/ est sou­vent transcrit y, il ne faut donc pas le confondre avec le pro­nom y ; le pluriel /iz/ est transcrit i’z, ou y z’ (va­rian­tes avec s pos­si­bles éga­le­ment) :

Aujourd’hui y parait qu’y z’entendent une gamine qui pleure tout le temps. [Il parait qu’ils entendent une gamine].■ Alors les voisins y font la gueule y z’ont dit qu’y voulaient plus nous voir chez eux. [Les voisins, ils font la gueule et ils ont dit qu’ils voulaient plus nous voir chez eux].■ Y doivent être deux ou trois seu­le­ment à l’penser, mais y z’y croient. [Ils doivent être deux ou trois seu­le­ment à le penser, mais ils y croient ].■ Elle lui tend un papier. – I l’ prend. – Elle pleure. [Elle lui tend un papier. Il le prend. Elle pleure].

Cet y ne doit pas non plus être confondu avec la va­rian­te « populaire »ou régionale de y équi­va­lent à lui :

Alors j’y ai dit d’revenir demain [Alors je lui ai dit de revenir demain].

nor­ma­lement, devant voyelle on pro­non­ce /il/, mais parfois il se réduit à /l/ devant voyelle, transcrit l’ (parfois ’l’). Il ne faut pas confondre ce l’ avec le pro­nom CVD le:

Pauvre chou, ’l’a pas parlé du su­jet, ça l’embête trop. [Il a pas parlé du su­jet]. J’ai pété mon flingue vu la carapace du truc, mais l’comité l’a rien dit [le comité, il a rien dit].

Remar­que :  dans l’exem­ple sui­vant, on trouve la graphie qui pour qu’il (on attendrait en principe la for­me qu’i’, mais il n’exis­te évi­dem­ment au­cu­ne norme stricte dans ce domaine), et, de nouveau, l’ pour il :

Ya ma femme qui gueule qui faut qu’on trouve le chat, c’te salaud l’est en­co­re bourré. [= Il y a ma femme qui gueule qu’il faut qu’on trouve le chat, ce salaud, il est en­co­re bourré].

Chute de /ᴇ/ interconsonantique

Dans cer­tains mots monosyllabiques cou­rants, le /ᴇ/ entre consonnes tombe :

a. Le ver­be c’est est réduit à /st/. Cette réduc­tion est ha­bi­tu­el­le­ment transcrite c’t, qu’il ne faut pas confondre avec c’t transcrivant le dé­ter­mi­nant dé­mons­tra­tif (voir point b.) :

Pour un premier message, c’t’intéressant ! Very Happy. Va t’ présenter dans le Topic Présentations. C’est bien plus agréable de rester au chaud, parce que le froid, c’t’amusant 30 secondes, après, un bain chaud, c’t’une chose très agréable.

b. Le dé­mons­tra­tif cet ou cette est réduit à /st/ devant voyelle ; il n’y a donc pas de dif­fé­ren­ce entre le fé­mi­nin et le mas­cu­lin :

En espérant que sa nuit sur le goudron glacial lui a rafraichi les idées à c’t’an­douil­le [= cette andouille] ! C’est interdit on va pas tortiller, on va la payer c’t’amende [= cette amende]. Et l’grand patron qui dit : D’où y sort, c’t’abruti [= cet abruti] ?

c. Devant consonne, on a ten­dan­ce à pro­non­cer les dé­ter­mi­nants dé­mons­tra­tifs cet et cette sous la for­me /stɶ/, qui est sou­vent transcrite c’te. On peut donc avoir la for­me c’te devant un fé­mi­nin et aus­si un mas­cu­lin :

Ça manquait de kiwi dans c’te salade de fruits [fé­mi­nin]. En plus on dirait trop qu’il est sérieux c’te débile mental [mas­cu­lin]. Ya ma femme qui gueule qui faut qu’on trouve le chat, c’te salaud l’est en­co­re bourré [mas­cu­lin].

Élision du i du pro­nom qui

Le pro­nom relatif qui) s’élide en qu’ devant voyelle. Il faut donc faire très atten­tion à ne pas con­fon­dre qu’ for­mé élidée de que CVD et qu’ for­me élidée de qui su­jet :

Y a ceux qu’ont raté l’avion parce qu’y z’étaient enfermés dans les toilettes. Elle a mal, mal de voir tous ces amis partir avec ceux qu’ont dit des choses mal d’elle. On n’a pas retrouvé depuis ceux qu’avaient quitté le grou­pe. Ceux qui sont morts dans le car, c’est ceux qu’étaient devant.

Réduc­tion du grou­pe e + consonne + ui

Trois grou­pes contenant les phonèmes /ɶi/ se réduisent selon un mo­dè­le iden­ti­que (pro­non­cia­tion très cou­rante dans le fran­çais parlé, no­tam­ment dans le cas de celui-ci / celui-là) :

je suis > /ʃɥi/, transcrit ha­bi­tu­el­le­ment chuis, parfois sous la for­me non assimilée ch’suis
celui > /sɥi/, transcrit ha­bi­tu­el­le­ment çui (et aus­si çui-, çui-ci)
je lui > /ʒɥi/, transcrit ha­bi­tu­el­le­ment j’ui ou jui

Exem­ples :

Origines: marché de Nowel (pour çui de gauche) et marché médiéval Breton (pour çui de droite). Çui qu’a dit ça aurait mieux fait de s’taire.  Chuis vraiment, vraiment pas contente, déjà en rentrant, j’avais un bruit bizarre dans la voiture, gen­re un sifflement de courroie assez suraigu. J’ui ai flanqué un coup de pied, tout a redémarré à la sauvage et ça a marché. J’ui ai mis un short rose pour le rendre un peu plus sympa. Chuis pas libre mais j’veux plaire.

Élision du u de tu devant voyelle

Tu s’élide devant voyelle : tu as dit > t’ as dit :

My god, t’as pas beau­coup de chance avec les bureaux d’ordi ! T’avais rien d’au­tre à faire ? Allo, t’es où, là ? T’avais qu’à te coucher plus tôt cette semaine. T’étais pas celui que j’voulais.

Ne pas confondre ce t’ avec t’, for­me élidée ha­bi­tu­el­le et régulière du te (for­me com­plé­ment de tu) devant voyelle. Tu ne s’élide devant voyelle que dans le fran­çais parlé, tandis que te s’élide tou­jours :

Qu’est-ce t’as dit ? < Qu’est-ce que tu as dit ? Qu’est-ce qu’i’ t’a dit ? < Qu’est-ce qu’il t’[te] a dit ? Qui est-ce qui t’a dit ? < Qui est-ce qui t’a dit ? (= Qui est-ce qui te l’a dit ?)

Réduc­tion de qu’est-ce que à qu’est-ce devant consonne

Le grou­pe qu’est-ce que in­ter­ro­ga­tif et exclamatif se réduit sou­vent à qu’est-ce (pro­non­cé /kɛs/) devant consonne. La chute de que est tout à fait nor­ma­le et très cou­rante dans le fran­çais parlé, mais il ne faut pas en conclure qu’elle re­pré­sente la norme, et il est exclu de l’uti­li­ser dans le code écrit :

Qu’est-ce tu fais c’soir ? Qu’est-ce ça change, et pis qu’est-ce ça peut te faire ? Mais qu’est-ce tu veux que je fasse, qu’est-ce tu veux que je te dise ? Qu’est-ce t’écoutes com­me musique, là ? Qu’est-ce qu’i glande, bon sang ? Qu’est-ce qu’ i’z ont dit qu’y aurait com­me temps à la radio ? Qu’est-ce t’es pâle, mon vieux ! Wow, qu’est-ce t’as maigri !

Mais devant voyelle, que se maintient :

Qu’est-ce qu’y veulent en­co­re ? Qu’est ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’il est bête !

Puis pro­non­cé /pi/

L’ad­ver­be puis se réduit à cou­ram­ment à /pi/ ; il est ha­bi­tu­el­le­ment transcrit pis, qu’il ne faut pas con­fon­dre avec pis, le com­pa­ra­tif de mal, no­tam­ment dans l’ex­pres­sion pis en­co­re en tête de phra­se) :

Et j’ui ai dit : « Toi tu m’fous les glandes / Pis t’as rien à foutre dans mon monde / Arrache-toi d’là t’es pas d’ma bande. » [chanson de Renaud] Et pis qu’est ce tu veux aller faire à Lourdes ? Pis qu’est-ce tu veux que ça m’fasse ? Fumer, c’est full dégueu et pis c’est pas rap. Et pis en­co­re meilleurs vœux pen­dant qu’on y est…. Quelle météo, de la neige et pis en­co­re de la neige !!

Dans les exem­ples sui­vants, qui ne sont pas du fran­çais parlé, pis est un com­pa­ra­tif :

Et pis en­co­re, ce mensonge devrait-il être pris pour signe de vaillance, pour signe de liberté ? La rationalité et la pensée scientifique s’avèrent de moins en moins bien comprises et, pis en­co­re, de plus en plus menacées.

Dans la phra­se sui­vante (titre d’un message de blog et donc hors contexte), il est impos­si­ble de savoir si l’auteure a voulu dire puis en­co­re ou pis en­co­re :

Ah pis… en­co­re !Je déteste me faire dire : ah t’es grosse, mais com­me tu es grande, ça te va bien, en plus tu as un beau visage !

En plus des mo­di­fi­ca­tions pré­sen­tées ci-dessus, il exis­te éga­le­ment d’au­tres al­té­ra­tions pho­né­ti­ques cou­rantes, no­tam­ment des contractions diverses, qui ne pro­dui­sent pas de for­mes pouvant prêter à con­fu­sion, voir ci-des­sous.

Résumé

Com­me résumé montrant à quel point les graphies sont variables et peu stan­dar­di­sées, on peut re­le­ver dans les exem­ples pré­cé­dents les va­rian­tes de il(s) :

il
iI l’prend.
i avec queYa ma femme qui gueule qui (= qu’il) faut qu’on trouve le chat.
yD’où y sort, c’t’abruti ?
’l(’)Pauvre chou, ’l’a pas parlé du su­jet…
ils
yY doivent être deux… Qu’est-ce qu’y veulent en­co­re ?
i’zQu’est-ce qu’ i’z ont dit qu’y aurait com­me temps
y z’Y parait qu’y z’entendent… / Y z’y croient…

Le kit de survie de l’étudiant Erasmus

Immersion dans le fran­çais de tous les jours

En dehors des contacts avec le fran­çais de tous les jours que permet l’om­ni­pré­sence d’Inter­net, il y a évi­dem­ment aus­si des situations où l’étu­diant de FLE est plongé dans le milieu linguistique « physique », soit à l’occasion de voyages divers, soit, com­me c’est le cas pour de nom­breux étudiants de nos jours, dans le cadre des échan­ges du pro­gram­me Erasmus. Ces séjours en immersion linguistique (kie­li­kyl­py) sont suffisamment longs pour que, dans la vie quotidienne, l’étudiant ait la pos­si­bi­li­té de se familiariser avec le fran­çais parlé de tous les jours. Et, s’il connait déjà assez bien la gram­mai­re fran­çaise et qu’il est attentif aux ques­tions lin­guis­ti­ques, il constate qu’un cer­tain nombre de règles apprises à l’école où à l’université ne sem­blent pas être rigoureusement observées par les usagers fran­co­pho­nes.Il y a à cela deux raisons :

Le tableau ci-dessous présente cer­tai­nes « déviations » par rapport à la norme que l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re en séjour linguistique prolongé remar­que assez vite. On n’in­di­que que les tournures qui contredisent net­te­ment les règles de gram­mai­re figurant dans les manuels, et non pas les traits ca­rac­té­ris­ti­ques du fran­çais parlé (voir ci-dessus) ou les points de détail : gen­re des noms, orthographe (sauf un exem­ple) etc.

Tableau-résumé com­pa­ra­tif

Pour permet­tre à l’étu­diant de fran­çais lan­gue étran­gè­re de faire le partage entre d’une part les va­rian­tes relevant d’une norme dif­fé­ren­te de l’écrit ou dues à l’évolu­tion du fran­çais et, d’au­tre part, les er­reurs dues à une mauvaise com­préhension ou applica­tion des règles de gram­mai­re, on a fait suivre les « vraies fautes » du signe °. Mais cette ap­pré­cia­­tion reste subjective.

Norme vs usage
Ce que disent les GRAMMAIRES :Ce que disent ou écrivent LES USAGERS :
L’ar­ti­cle des devient de devant adjectif antéposé. Dans ce restaurant, ils servent des grandes portions et ils font des très bonnes tartes.
La pro­no­mi­nalisa­tion du nom se fait avec un pro­nom.Où est la voiture ? – Ton père est parti avec.
Un nom pré­cé­dé d’une pré­po­si­­tion se pro­no­mi­nalise sous la for­me [pré­po­si­­tion + pro­nom].Cette mouche m’énerve, ça fait une heure qu’elle me tourne autour.
Les pro­noms y et en ne s’uti­li­sent pas pour ren­voy­er à un ré­fé­rent humain :Il adore ses enfants, il y pense tout le temps et il en parle sans cesse.
On n’ex­pri­me pas le pro­nom y devant les for­mes en i- du ver­be aller.Aucune importance, j’y irai quand mê­me !
À l’impératif affirmatif, le pro­nom CVD de personne 3 précède le pro­nom CVP (donne-le-moi).Ça m’est égal, donne-moi-le et arrête de radoter !
À l’impératif affirmatif, le pro­nom CVP précède le pro­nom en (donne-m’en).Garde-moi-s-en peu, s’il te plait.
Dans la mise en relief avec c’est…, on uti­li­se la con­jonc­tion que dans tous les au­tres cas que le su­jet (c’est lui qui / c’est à lui que / c’est de lui que).C’est de lui dont je parlais, parce c’est bien à lui à qui je pensais.°
Le par­ti­ci­pe passé s’ac­cor­de en gen­re et en nombre avec le CVD quand le CVD précède le ver­be.La robe que j’ai mis est tou­te sale, et tou­tes les lettres que j’ai écrit ont disparu.
Le par­ti­ci­pe passé du ver­be faire suivi d’un in­fi­ni­tif ne s’ac­cor­de pas avec le com­plé­ment direct qui le précède.La maison qu’elles se sont faite(s) construire est très grande.°
Le par­ti­ci­pe passé d’un ver­be à pro­nom réfléchi ne s’ac­cor­de pas si le pro­nom qui précède le ver­be est un com­plé­ment de ver­be pré­po­si­tion­nel (CVP).Ah bon, ça tombe bien, elles se sont sou­vent demandées s’il fallait met­tre un s ou pas.°
Quand le su­jet précède le ver­be (nom, pro­nom, in­ter­ro­ga­tif qui, etc.), le su­jet conjugateur il est inutile.Tiens, je me demande ce qu’il se passe.°
Le ver­be se rappeler ne se construit pas avec de.Oh pardon, je m’en rappelais plus !
Il est interdit d’uti­li­ser le conditionnel après si dans une conditionnelle.Le médecin m’a dit que si je serais venu plus tôt ça aurait été plus facile à soigner.
La for­me du pro­nom relatif com­plé­ment du nom ou com­plé­ment in­tro­duit par de est dont.Tu m’as pas rendu le livre que je te parlais l’au­tre jour et que j’aurais besoin pour faire cette recette.
La for­me du pro­nom relatif com­plé­ment de lieu est .Je l’ai acheté dans le magasin qu’on était l’au­tre jour avec toi.
On n’uti­li­se la for­me réfléchie soi que si on ren­voie à un su­jet sans genre (pronoms personne, on etc.)Elle ne pense qu’à soi-mê­me.
Dans l’in­ter­ro­ga­tive in­di­recte, il n’y a pas d’in­ver­sion et on n’uti­li­se pas est-ce que :Je ne sais pas qui est-ce que c’est ni com­ment est-ce qu’il s’appelle.
La personne 3 du passé simple s’écrit sans accent circonflexe.Quand il fût rentré, il fût surpris de voir que la porte était ouverte.°
La con­jonc­tion après que demande l’in­di­ca­tif.Il a com­mencé à pleuvoir après qu’on soit rentrés.

L’étudiant FLE a intérêt à dire… com­me les gram­mai­res. Et avant tout à tou­jours écrire com­me le disent les gram­mai­res.

Stabilité vs évolution

Les langues sont com­me des organismes vivants, en perpétuelle évolution. Le fran­çais que parle un jeune de 20 ans en 2020 n’est pas exac­te­ment celui de ses parents, ni celui que parleront ses enfants. Des mots nouveaux apparaissent, d’au­tres mots disparaissent ou changent de sens, des ex­pres­sions nouvelles se créent. Ce sont des chan­ge­ments qu’on remar­que assez facilement et mê­me re­la­ti­ve­ment rapidement à l’échelle d’une gé­né­ra­tion. Il y a aus­si des chan­ge­ments moins visibles : des constructions gram­ma­ti­ca­les se modifient lentement, la pro­non­cia­tion évolue.

Dans le domaine du fran­çais, com­me dans d’au­tres pays, il y a aus­si une assez grande va­ria­tion régionale, dans la pro­non­cia­tion, dans le vocabulaire, qui peut aus­si être due à l’in­flu­en­ce (sou­vent imperceptible) de la langue régionale sur le fran­çais que parlent les gens dans la région. Ces facteurs aus­si sont en constante évolution.

Face à cette variation, il se crée gé­né­ra­le­ment une for­me standardisée et sta­bi­li­sée de la langue, un code (normisto), que tous les utilisateurs uti­li­sent et comprennent. C’est le code de ce qu’on appelle gé­né­ra­le­ment la « langue écrite », en fin­nois kirjakieli (« la langue des livres »). Ce code écrit n’est pas fait pour tenir compte de tou­tes les variations linguistiques pos­si­bles, mais, au contraire, en quel­que sorte pour les minimiser, afin que le maximum de lo­cu­teurs puissent le com­pren­dre (et l’apprendre) et l’uti­li­ser de la mê­me façon. Ce code est observé et utilisé partout dans la vie de tous les jours, dans la presse, dans le com­merce, dans l’ad­mi­nis­tration etc. C’est donc, logiquement, le code qu’on enseigne et uti­li­se à l’école et dans les ma­nuels scolaires. C’est la mê­me situation en Fin­lan­de.

Les personnes qui apprennent une langue étrangère le font sou­vent à partir de livres, de manuels scolaires, de textes, d’exercices écrits (mê­me sur internet), bien qu’il exis­te aujourd’hui beau­coup d’au­tres moyens d’apprendre une langue (applications sur té­lé­phone, par ex­em­ple). Quelle que soit la ma­niè­re, ces personnes apprennent d’abord la nor­me du code écrit.

Le code écrit, une longue histoire

Le code écrit du fran­çais a com­mencé à être fixé au début du XVIIe siècle. En 2022, il est donc déjà vieux de pres­que 400 ans. Le fran­çais a beau­coup chan­gé depuis. Le code écrit a été adapté à ces chan­ge­ments, mais, dans l’en­sem­ble, il a re­la­ti­ve­ment peu évolué. Par ex­em­ple, la plus grande par­tie des règles concernant l’accord du par­ti­ci­pe passé créées au XVIIe siècle sont en­co­re valables, alors que dans le fran­çais parlé en 2022, l’accord du par­ti­ci­pe passé a quasiment disparu. Il en va de mê­me pour le fin­nois : les règles du code écrit ont été fixées au début du XXe siècle, elles ont plus de 100 ans, et n’ont pas beau­coup changé, alors que dans la langue de tous les jours, de nom­breux faits de langue ne sont plus en phase (sopu­soin­nussa) avec les règles de ce code écrit.

Il faudrait plutôt dire : de nom­breuses règles du code écrit décrivent des faits de langue qui n’exis­tent plus dans la langue actuelle ou que les utilisateurs qui ne sont pas des spé­cia­lis­tes de gram­mai­re ou de littérature du XVIIe siècle ne comprennent plus. Le code écrit aurait dû s’adapter (au moins un peu plus qu’il ne l’a fait) à l’évolution de la langue, mais ce n’est pas le cas. Cette disparité entre le code écrit enseigné et requis à l’école et le fran­çais parlé réellement peut pro­vo­quer un véritable stress (une insécurité lin­guis­ti­que) chez les usagers.

Deux fonctions dif­fé­ren­tes

Il est important de com­pren­dre que le code écrit et le fran­çais parlé ne sont pas le contraire l’un de l’au­tre. Le code écrit s’uti­li­se dans cer­tai­nes situations, le fran­çais parlé dans d’au­tres situations. Il serait assez surprenant d’entendre quel­qu’un uti­li­ser le code écrit pour parler à ses enfants, tout com­me il serait inapproprié d’écrire un ar­ti­cle scientifique en fran­çais parlé. C’est exac­te­ment la mê­me chose en fin­nois.

Le fran­çais parlé ne s’uti­li­se pas seu­le­ment à l’oral, quand on parle « par la bouche », mais aus­si dans les contextes écrits qui rappellent la communica­tion orale, en par­ti­cu­lier sur les réseaux sociaux. Le dé­ve­lop­pe­ment d’Internet fait que le fran­çais parlé est très présent sous for­me écrite dans la com­mu­ni­ca­tion de tous les jours.

Le code écrit n’est donc pas « meilleur » que le fran­çais parlé, et vice-versa. Chacun des deux a une fonction et une exis­tence propre. Beaucoup de gens pensent que le code écrit est le « bon » fran­çais, et le fran­çais parlé, du « mauvais » fran­çais. En réalité, il faudrait plutôt dire que le code écrit est un fran­çais figé, codifié, qui n’a pas beau­coup changé depuis 1850, tandis que le fran­çais parlé est le vrai fran­çais vivant d’aujourd’hui, dif­fé­rent du fran­çais parlé de 1900, de celui de 1950, de celui 1980 et dif­fé­rent de celui de 2030 ou 2050.

Il y a de nom­breuses dif­fé­ren­ces entre le code écrit et le fran­çais parlé : dans le fran­çais parlé, la né­ga­tion s’ex­pri­me pres­que tou­jours sans le mot ne, la personne 4 (nous) est remplacée par la personne 3 avec le su­jet on, le passé simple n’est pas utilisé, l’accord du par­ti­ci­pe passé a disparu, le système des pro­noms relatifs est grandement simplifié etc. Tous ces chan­ge­ments peu­vent paraitre aux yeux du grand public de simples « altérations » (ou détériorations), mais du point de vue du linguiste, ils sont importants, parce qu’ils réorganisent des systèmes entiers. Par ex­em­ple dans la con­ju­gai­son courante des ver­bes com­me parler, au présent il n’y a plus que deux for­mes orales /paʁl/, /paʁle/, com­me c’est le cas en anglais.

Malgré cela, on ne peut pas dire que le code écrit et le fran­çais parlé soient deux langues entièrement dif­fé­ren­tes. Les règles de base concernant l’ordre des mots (su­jet-ver­be-com­plé­ment), la place des pro­noms devant le ver­be, l’accord en genre et en nombre etc. restent les mê­mes dans les deux codes. Mais le fran­çais parlé uti­li­se abondamment des pro­cé­dés (par ex­em­ple la dislocation) que le code écrit uti­li­se aus­si, mais net­te­ment moins sou­vent.

Bon fran­çais contre mauvais fran­çais

Une des notions indissociables, au niveau sociolinguistique, de l’analyse du fran­çais parlé est cel­le de norme. Com­me le fran­çais connait de nom­breuses variétés, quelle est la variété qu’il faut choi­sir com­me norme, com­me langue standard, ce que le grand public et les puristes appellent le « bon fran­çais » ?

Pour beau­coup d’usagers de la langue et pour le grand public (et mê­me pour cer­tains grammai­riens), le fran­çais parlé est synonyme de « mauvais fran­çais », le code écrit re­pré­sentant le « bon fran­çais ». C’est exac­te­ment la mê­me situa­tion pour le fin­nois en Finlande. Cette vision ne correspond pas à la réalité linguistique : l’uti­li­sa­tion du fran­çais parlé ne dépend pas (ou ne dépend plus de nos jours) du niveau d’éduca­tion du lo­cu­teur. Le fran­çais parlé n’est pas la langue du « peuple » ou des « banlieues », il ne s’oppose pas à un code écrit qui serait la lan­gue de la « classe cultivée ». Toute personne, mê­me très « cultivée », uti­li­se des pro­cé­dés du fran­çais parlé dans cer­tains contextes : en jouant avec des enfants, en parlant avec des amis à bâ­tons rompus etc., on uti­li­se le fran­çais parlé. Même dans des contextes où le lo­cu­teur se « sur­veil­le » (interview télévisée d’un hom­me politique, par exem­ple), on peut relever quan­ti­té de tour­nu­res typiques du fran­çais parlé, que la mê­me personne n’uti­li­serait pas à l’écrit.

Inversement, dans d’au­tres contextes, dans une situa­tion for­melle, « officielle » (con­fé­ren­ce, entre­tien d’embauche, dis­cours officiel, débat télévisé, interview d’un personnage important etc.), on uti­li­se en principe le code écrit. Ceci concerne tou­tes les couches sociales. C’est le cas en fin­nois aus­si, et dans bien d’au­tres langues du monde. Les usagers de la langue sont donc amenés à changer constamment de style, en fonc­tion de la situa­tion d’énonciation — le plus sou­vent de façon inconsciente. Mais le choix du style dépend des com­pé­ten­ces lin­guis­tiques du lo­cu­teur. Il faut tout autant savoir éviter d’uti­li­ser le fran­çais parlé dans un contexte for­mel que savoir éviter un langage trop for­mel dans la conversa­tion avec des amis. Pour beau­coup d’usagers fran­co­pho­nes, les deux tâches semblent être aus­si difficiles l’une que l’au­tre. Elles né­ces­sitent par exem­ple une bonne connaissance du vocabulaire, de la gram­mai­re, des conventions sty­lis­ti­ques etc. Les usagers qui ne maitrisent pas tou­tes les subtilités du « style » éprouvent un sentiment d’in­sé­cu­rité linguistique et auront ten­dan­ce à con­si­dé­rer le fran­çais parlé com­me vulgaire ou au moins fa­mi­li­er. On peut dire que moins le lo­cu­teur maitrise les ressources linguistiques, moins il se sent li­bre d’uti­li­ser le fran­çais parlé dans des contextes variés, et plus il aura ten­dan­ce à con­si­dé­rer le fran­çais parlé com­me du « mauvais fran­çais », et inversement.

L’insécurité linguistique

En France, la norme est en­co­re très centralisée :les régionalismes sont par exem­ple la plupart du temps con­si­dérés com­me des déviations inacceptables dans la norme écrite (sauf à la rigueur dans la région concernée). On peut constater une plus grande tolérance dans ce domaine depuis quel­ques années, et on peut uti­li­ser sans pro­blè­me des régionalismes dans la presse (locale). Mais ils ne seraient pas admis dans une dis­ser­ta­tion (essee) à l’école.

La norme est aus­si très « autoritaire » et très « critique » : tou­te dévia­tion est con­si­dé­rée à priori com­me la mar­que de l’igno­rance — c’est du moins ainsi que la plupart des usagers le ressentent. Le culte de l’orthographe renforce en­co­re cette pression sur les usagers. Cette puissance et ce prestige de la norme en France (on peut pres­que parler de « ter­ro­ris­me gram­ma­ti­cal ») provo­quent chez de nom­breux usagers un sentiment d’insécurité linguistique. Les règles de gram­mai­re du fran­çais sont parfois très complexes, en grande par­tie parce que la gram­mai­re fran­çaise est com­po­sée de dif­fé­ren­tes strates tem­po­rel­les. On y trouve constam­ment un mélange de cons­truc­tions héritées de la langue classique en concurrence avec celles de la langue moderne. L’orthographe est un système très complexe, que pas une seule personne ne peut prétendre maitriser to­ta­lement. À moins de connaitre le latin, l’ancien fran­çais et les subtilités de la langue classique (et mê­me quand ils les connaissent), les usa­gers de la langue ont donc mille occasions d’hé­si­ter sur la recevabilité de telle ou telle cons­truc­tion ou de tel ou tel terme, d’où ce sen­ti­ment d’insécurité.

Bon à savoir pour les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re…

C’est pour cette raison que, con­trai­re­ment à ce qu’imaginent les ap­pre­nants de fran­çais lan­gue étran­gè­re, les lo­cu­teurs fran­co­pho­nes sont ra­re­ment des ré­fé­ren­ces absolues en matière de connaissances des règles de gram­mai­re ou de norme. Mais, paradoxalement, face à un non francophone, les lo­cu­teurs fran­çais ont sou­vent ten­dan­ce à se prendre pour les dépositaires de la gram­mai­re parfaite, et à juger incorrect tout énon­cé qu’ils n’iden­ti­fient pas com­me faisant par­tie de leur gram­mai­re, alors mê­me que cet énon­cé est parfaitement confor­me à la norme du fran­çais. Il semble exis­ter com­me un apriori qui veut que l’allophone n’ait pas le droit à l’er­reur ni à la fantaisie, et que tou­te produc­tion déviante (mê­me un jeu de mot très bien tourné, mais inattendu) soit interprétée d’abord com­me une er­reur (c’est le cas dans tou­tes les langues). Bien sou­vent, des Français condamnent péremptoirement chez l’allophone telle for­me qu’eux-mê­mes em­ploieraient en d’au­tres occasions sans y trouver à redire, ou soutiennent à tort et avec opiniâtreté que telle règle, dont l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re est cer­tain qu’elle est juste, est une règle fausse parce qu’il l’ignorent ou l’ont oubliée, ou ne la comprennent pas.

Le sentiment d’insécurité linguistique reflète sou­vent une mauvaise con­nais­san­ce de cer­tains mécanismes grammaticaux (parfois mê­me dans un domaine aus­si banal que le gen­re des noms communs), et, évi­dem­ment, de l’or­tho­gra­phe. L’ap­pre­nant FLE doit donc être capable de discerner entre les variations nor­ma­les de la langue et les véritables déviations par rapport à la nor­me gram­ma­ti­cale du fran­çais standard. Il éprouve lui aus­si un sentiment d’insécurité linguistique (pleinement justifié, dans son cas) et il a ten­dan­ce à prendre tout lo­cu­teur natif pour une gram­mai­re vivante et une référence, ce qui est très loin d’être le cas dans la réalité. Il faut donc savoir dis­tin­guer le vrai du faux et ne pas prendre pour argent comp­tant tou­tes les productions erronées (ce pro­blè­me est en­co­re accentué par l’explosion du volu­me de pro­duc­tions écrites sur Internet). 

Les seuls qui n’ont jamais d’hésitations et n’éprouvent pas d’insécurité linguistique sont les pu­ris­tes, qui sont persuadés qu’il n’y a qu’une seule ma­niè­re correcte de dire les choses (celles qu’ils ont apprise avec beau­coup de peine) et qui veulent que tous les au­tres appliquent aus­si. Pour le linguiste, la variété est la règle et la norme est plus difficile à dé­fi­nir. Voir à ce propos les remar­ques lumineuses d’André Goosse dans Le bon usage (2016) §14b. Le niveau de « culture linguistique » joue aus­si un rôle : un amateur éclairé qui connait bien les dif­fé­ren­tes strates tem­po­rel­les de la langue peut ainsi juger par­faitement recevable un énon­cé que l’usager ha­bi­tu­el (ou le puriste) juge fautif ou ne comprend mê­me pas.

Que dire ? Qui croire ?

Les gens qui apprennent une langue étrangère s’imaginent sou­vent que les lo­cu­teurs natifs de cette langue parlent tous « parfaitement » cette langue et qu’ils sont tous des spécialistes de la gram­mai­re de leur langue et peu­vent expliquer à l’ap­pre­nant tou­tes les règles de gram­mai­re, tou­tes les nuances de vocabulaire. Ce n’est pas le cas. Il faut d’abord prendre conscience du fait que (mal­gré les objectifs et les efforts du système scolaire), la plupart des gens (en France, en Belgique, en Finlande et ailleurs dans le monde) ne sont pas du tout intéressés par la gram­mai­re, parce qu’ils n’en ont pas besoin dans leur vie quotidienne. Et, dans le cas du fran­çais, mê­me les personnes intéressées ne savent pas tou­jours expliquer des règles com­ple­xes ou des significations ou ex­pres­sions rares héritées du fran­çais du XVIIe siècle. Même les enseignants de fran­çais ne savent pas tou­jours le faire.

Pour l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re, qu’il soit fin­no­pho­ne ou au­tre, ceci peut poser dif­fé­rents pro­blè­mes  :

a.  L’ap­pre­nant doit d’abord savoir quelle norme il doit uti­li­ser quand il s’ex­pri­me en fran­çais. Cet as­pect a aus­si son importance pour l’étudiant qui se destine par exem­ple à la carrière d’ensei­gnant. Quelle norme le professeur de FLE doit-il enseigner à des débutants ? À un niveau précoce de l’ap­prentissage, il vaut mieux observer la norme du code écrit. La maitrise des mécanismes du fran­çais parlé et des styles demande un cer­tain entrainement, assez long en général. Il est moins étran­ge d’en­tendre un allophone (vieraskielinen) parler « trop bien » et sans faire de fautes de gram­mai­re que d’en­tendre quel­qu’un essayant d’imiter le fran­çais parlé en faisant des fautes de gram­mai­re sans arrêt et en uti­li­sant des mots ne correspondant pas au style exigé par la situation. Il vaut donc mieux parler « un peu trop bien » que l’inverse. De plus, on peut dire que sur le plan pragma­tique un excès de « beau langage » avec des amis a rarement des conséquences fâcheuses, tandis que l’uti­li­sa­tion d’une tournure ou d’un mot trop typiques du fran­çais parlé dans une situa­tion for­melle peut pro­vo­quer des situations embarrassantes.

b.  L’ap­pre­nant FLE doit prendre conscience du fait que beau­coup de fran­co­pho­nes font de nom­breu­ses « fautes de gram­mai­re » en parlant et surtout en écrivant. Du moins, ce sont des « fautes » par rapport au code écrit, et sou­vent ces prétendues fautes re­pré­sentent sim­ple­ment un état actuel du fran­çais. Par exem­ple *il faut que je viens serait une for­me considé­rée com­me net­te­ment fautive par une grande majorité des usagers, mais elle est étonnament répandue (mê­me sous for­me écrite, sur Internet), et les lo­cu­teurs qui la produisent n’y voient, pour leur part, rien de fautif.

Règles à retenir

L’hypercorrectisme

Définition et cas pos­si­bles

L’ap­pre­nant FLE doit éga­le­ment savoir dis­tin­guer un type d’er­reur « inverse », assez fré­quent chez les fran­copho­nes, l’hy­per­cor­rec­tis­me. L’hy­per­cor­rec­tis­me est le fait d’uti­li­ser une for­me « trop correcte » (le terme dé­si­gne à la fois le phénomène et la for­me produite ; pour dé­si­gner le phénomène, on uti­li­se aus­si le terme d’hypercorrection). Il est dû au sentiment d’insécurité lin­guis­tique : le lo­cu­teur « a peur » de produire une for­me gram­ma­ti­cale incorrecte et donc d’apparaitre ignorant de (ce qu’il croit être) la norme. Il y a deux types principaux d’hy­per­cor­rec­tis­mes qui peu­vent être visibles pour l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re :

a. Le lo­cu­teur veut trop bien faire et produit une for­me gram­ma­ti­cale inexistante (donc fautive). Exem­ple : la for­me de la personne 5 du ver­be dire est dites. C’est une for­me irrégulière par rapport à disons et disent. Il faut donc faire atten­tion à ne pas dire *vous disez. Cepen­dant, dans les ver­bes com­posés sur dire, com­me contredire, on uti­li­se bien la for­me -disez. L’hy­per­cor­rec­tis­me consiste à ap­pli­quer aux ver­bes com­po­sés la règle concernant le ver­be simple dire : le lo­cu­teur, anxieux d’éviter les er­reurs et pour montrer (inconsciemment) qu’il sait bien conjuguer le ver­be dire, va produire la for­me « hypercorrecte » (au­tre­ment dit « trop correcte ») vous *contredites, au lieu de la for­me cor­recte contredisez. On trouve ce gen­re d’er­reurs dans de nom­breux domaines : l’uti­li­sa­tion fré­quente et erronée d’un accent circonflexe sur le passé simple (quand il *fût parti) est vrai­sem­blablement due à un mécanisme d’hy­per­cor­rec­tis­me ; de mê­me la for­me hybride *ce qu’il se passe. Pour déceler ces er­reurs, l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re doit vraiment bien connaitre la gram­mai­re.

b. Le lo­cu­teur uti­li­se une for­me correcte gram­ma­ti­calement, mais qui parait étrange dans la structure concernée. C’est le cas no­tam­ment de l’opposi­tion ça/cela. En principe, la for­me cela est la va­rian­te dans le code écrit de ça. La for­me ça est donc catégorisée com­me appartenant au fran­çais parlé. Donc, pour faire « plus joli », « plus cultivé » en quel­que sorte, de nom­breux lo­cu­teurs s’imaginent qu’il suffit de remplacer n’importe quel ça par sa for­me « élégante » cela. Or, on ne peut pas uti­li­ser la for­me cela à la place de ça dans tous les cas : il est ainsi très étrange de dire com­ment cela va-t-il ? com­me for­me plus « élégante » de com­ment ça va ? Il ne suffit pas de trans­for­mer la for­me ça en cela pour obtenir la version du code écrit : la for­me du code écrit de com­ment ça va ? serait par exem­ple com­ment allez-vous ? De mê­me, Cela suffit (« Se riittää ») n’est pas l’équi­va­lent dans le code écrit de l’ex­pres­sion Ça suffit ! Riittää jo! »). La for­me du code écrit ayant le mê­me sens que Ça suffit ! serait par exem­ple En voilà assez ! Il en va de mê­me pour l’em­ploi hypercorrect du mot né­ga­ti­f ne dans cer­tains cas.

L’hy­per­cor­rec­tisme consiste donc dans ce cas précis à uti­li­ser des éléments du code écrit dans des structures qui sont réservées au fran­çais parlé. Le résultat est là en­co­re une for­me à la limite de la gram­ma­ti­calité. Ce gen­re d’hy­per­cor­rec­tis­mes est très fré­quent par exem­ple dans les dialogues de bandes dessinées et plus gé­né­ra­le­ment dans tout contexte où le lo­cu­teur ne maitrise pas vraiment les subtilités du code écrit ou littéraire et croit pouvoir « faire de la belle langue » sim­ple­ment en uti­li­sant quel­ques « beaux » mots çà et là (voir exem­ples).

Style hypercorrect

Dans une langue à la norme très rigide, com­me le fran­çais, les phénomènes d’hy­per­cor­rec­­tion sont très nom­breux. L’hy­per­cor­rec­tis­me a aus­si un troisième aspect, qui porte sur le style et le choix du style, no­tam­ment dans la créa­tion littéraire (au sens vaste du terme) : dans les dialogues (de roman, de ci­né­ma, de bande dessinée), qui sont par dé­fi­ni­tion du fran­çais parlé, est-il crédible d’uti­li­ser systéma­ti­que­ment le ne né­ga­ti­f, le l explétif (il faut que l’on insiste) ou des in­ter­ro­ga­tions par in­ver­sion ?

Hypercorrectismes dus au multilinguisme

On peut éga­le­ment mentionner les hy­per­cor­rec­tis­mes des lo­cu­teurs de régions de variété linguistique (Belgique, Suisse ou Québec et régions fran­co­pho­nes du Canada, ou régions fran­çaises bilingues) qui, voulant éviter des tournures ou des ex­pres­sions répu­tées pour être des calques de la langue d’interférence ou des régionalismes (ou qu’ils croient être telles), em­ploient à la place de celles-ci des tournures dif­fé­ren­tes, alors mê­me que la tournure ou l’ex­pres­sion qu’ils voulaient éviter exis­te bel et bien et est parfaitement admise dans le fran­çais standard.

Résumé : une tâche difficile

Au total, si on peut dire que le fran­çais n’est pas une langue facile pour les fran­co­pho­nes eux-mê­mes, la tâche de l’ap­pre­nant de fran­çais lan­gue étran­gè­re est en­co­re plus compliquée :

ISBN 978-951-39-8092-4 © Jyväskylän yliopisto 2020-2022
Page 3. Code écrit et fran­çais parlé. Dernière mise à jour : 9.8.2022
Mises à jour après le 15.8.2022